La Fin de Pardaillan
trop.
– Essayez quand même… pour moi, insista Fausta.
–
Cristo Santo !
mais vous me demandez de tenter l’impossible, signora ! se désespéra Concini. Vous n’êtes pas, je le vois, au courant des affaires de la cour… sans quoi, vous sauriez que la reine est montée, outrageusement montée contre ce « pôvre » duc d’Angoulême !…, Ah ! le poretto
,
s’il n’y avait que moi !… Mais la reine,
ohimé !…
intercéder près d’elle en faveur du duc d’Angoulême, mais ce serait chercher la disgrâce irrémédiable, absolue. J’aimerais mieux, oui, j’aimerais mieux répandre mon sang, tout mon sang ici même, à vos pieds.
– Ainsi donc, ce que je croyais facilement réalisable vous paraît impossible.
– Tout à fait impossible, signora.
– N’en parlons donc plus.
Fausta dit cela d’un air très naturel, sans marquer la moindre humeur, en souriant plus que jamais. Voyant qu’elle se montrait de si bonne composition, Concini crut pouvoir protester :
– Vous me voyez désespéré, signora ! Demandez-moi autre chose qui soit en mon pouvoir, et je veux que la foudre m’écrase si je ne vous l’accorde pas sur-le-champ.
– Je désirais rendre à la liberté le duc d’Angoulême. Je croyais que vous pourriez le faire. Il paraît que je me suis trompée. N’en parlons plus, vous dis-je.
Elle disait cela d’un air si détaché que Concini redevint inquiet, se demanda si ce n’était pas là une simple escarmouche pour aboutir à une autre demande plus importante. Mais Fausta s’était mise à parler d’autre chose. Elle bavardait en toute confiance, simple, familière, comme si Concini avait été son égal. Et ce bavardage familier, pour qui l’eût connue, eût paru plus redoutable que tout. Elle parlait de l’Italie, de Florence surtout, puisque Concini était Florentin. Et elle semblait avoir un fonds inépuisable d’anecdotes croustillantes, comiques ou terribles, qu’elle racontait avec un entrain qu’on ne lui eût jamais soupçonné. Et Concini l’écoutait, si prodigieusement intéressé, qu’il en arrivait parfois à oublier de se demander où elle voulait en venir.
Il ne devait pas tarder à être fixé. D’anecdote en récit, Fausta en vint, le plus naturellement du monde, à placer le récit qu’elle tenait à lui faire entendre, tout ce qu’elle avait dit jusque-là, n’ayant pas eu d’autre but que de préparer ce récit.
– Il y a une vingtaine d’années, dit-elle, vivait à Florence un jeune gentilhomme…
Et s’interrompant :
– Au fait, était-il gentilhomme ? Entre nous, je puis bien vous le dire, non, il n’était pas gentilhomme. Mais il criait bien haut, lui, qu’il était d’excellente noblesse. Et comme il était fort beau garçon, fort élégant, qu’il ne manquait pas d’une certaine distinction, on le croyait sans trop de peines ou feignait de le croire, ce qui, pour lui, était l’essentiel. Si vous le voulez bien, nous ferons comme ceux-ci : nous admettrons sa gentilhommerie.
Dès ce préambule, Concini avait dressé l’oreille. Cependant, il ne pensait pas encore qu’il était personnellement mis en cause. Fausta reprit son récit :
– Donc, ce jeune gentilhomme, fort joli garçon, fort élégant, était aussi fort pauvre. Ce dont il rageait. Comme les femmes accueillaient assez volontiers les déclarations enflammées qu’il savait leur débiter sur un ton passionné, et comme il était dénué de scrupules, il se servit de cette espèce de fascination qu’il exerçait sur elles pour leur soutirer de l’argent et faire figure dans le monde. Il commença d’abord modestement par de simples chambrières, des ouvrières, des bourgeoises. Il en arriva rapidement aux dames. Il n’était pas riche, mais il le paraissait, car il menait grand train avec l’argent de ses belles. Vers 1596, il faisait figure de grand seigneur, jetait l’or à pleines mains, sans compter. Ses succès lui avaient donné de l’ambition et il ne doutait plus de rien. Il voulut être quelqu’un et, pour arriver à ce résultat, il eut l’audace de jeter ses vues… devinez sur qui, je vous le donne en mille…
– Que sais-je ? répondit Concini qui commençait à se reconnaître dans le portrait qu’elle venait de tracer.
– Sur la propre fille du grand-duc François, révéla Fausta triomphante.
– Peste, il ne doutait de rien ! s’exclama Concini, qui maintenant était fixé, comprenait que
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