La force du bien
Loire prend sa source, ainsi que tout écolier français est censé le savoir. Nous verrons que ce fameux Plateau a été, au fil des siècles, le théâtre de nombre d’actions témoignant d’une tradition régionale d’accueil et d’hospitalité accordés ici aux pourchassés de toutes origines. Le Lizieux, un ancien volcan aux formes adoucies et usées par l’érosion, s’arrondit au sommet du Plateau : c’est le mont, le suc le plus proche du village.
Pourquoi, dans ma quête des Justes, ce voyage et cette halte au Chambon-sur-Lignon, bourgade du bout du monde qui, à première vue, pourrait sembler inaccessible aux tribulations de l’Histoire ?
Eh bien, justement parce que l’Histoire n’a cessé d’y passer, d’y faire halte, d’y laisser des traces profondes – non sous forme de claironnants faits d’armes, mais d’une manière discrète, silencieuse. Ici, les guerres et les persécutions ont rencontré et créé leur antidote : la solidarité collective d’une communauté entière à l’égard d’une autre, pourchassée dans toute l’Europe.
Avec Le Chambon-sur-Lignon, comme, il y a peu de temps, avec le Danemark, me voici face à un peuple de Justes. Ce « peuple » du Chambon (quelques centaines d’âmes) s’est comporté d’une manière exemplaire en offrant accueil, hébergement, nourriture et protection à environ cinq mille Juifs durant la guerre. Dans une très large mesure, c’est en référence à sa tradition d’hospitalité qu’il a organisé et offert son aide. Encore faut-il bien comprendre que le nerf, que l’énergie profonde de cette tradition est en droite ligne issue du protestantisme. La région du Chambon et de son Plateau était en effet acquise à la Réforme depuis les débuts de celle-ci. Les Évangiles, ici, ne sont pas de vains mots. Tout le village a tenté de les mettre en oeuvre, d’en appliquer les préceptes relatifs à l’amour du prochain. Sans ostentation, sans la moindre parcelle d’orgueil. Il y a largement réussi.
« C’est une filière qui vient de loin ! me dit Gérard Bollon, le plus jeune des témoins directs qui ont vécu ici cette période de la guerre. L’histoire du Chambon pendant la guerre résulte de l’histoire générale de la commune, de la paroisse, dans les siècles qui ont précédé la Seconde Guerre mondiale. Nous sommes dans une région à très large majorité protestante depuis le XVI e siècle, avec des populations qui étaient elles-mêmes persécutées depuis l’édit de Nantes, qui ont connu l’humiliation d’être privées d’état civil et de liberté religieuse. Lorsque la Seconde Guerre mondiale a éclaté et mis en évidence le problème d’une minorité religieuse persécutée, celle des Juifs, nous autres protestants avons bien entendu senti que ce peuple nous ressemblait, qu’il y avait d’évidents points communs entre les persécutions qu’ils subissaient et celles que nous avions dû affronter jadis. D’une certaine façon, on peut dire que ces similitudes de destins nous rendaient frères. En arrivant chez nous et en vivant avec nous, beaucoup de Juifs, tout en restant juifs, ont été sensibles à notre monde, à notre manière d’être : en quelque sorte, ils “ devenaient protestants ” en nous côtoyant, comme nous étions “ devenus juifs ” à considérer leurs malheurs… Et puis, le Plateau du Chambon avait, depuis des siècles, une véritable tradition d’accueil des réfugiés, des persécutés de toutes sortes : pendant la Révolution, c’étaient les prêtres catholiques réfractaires qui se réfugiaient ici, cachés par nos pasteurs. À la fin du XIX e siècle, en raison de l’excellence de notre climat, des milliers d’enfants originaires des bassins miniers du Giers et de Saint-Étienne étaient envoyés chez nous pour raisons de santé, dans le cadre de l’Oeuvre des enfants à la montagne, association créée par l’ancien pasteur Comte en 1893. En 1936, nous avons aussi reçu les réfugiés de la guerre d’Espagne. À partir de 1939, les réfugiés antifascistes d’Europe centrale ont à leur tour trouvé refuge sur le Plateau. Et puis, en 1942-1944, ce sont cette fois des Juifs, une large majorité de Juifs pourchassés, qui sont arrivés. Mais pensez-y : nous disposions d’une quantité de pensions ici même et dans les environs immédiats. Il y avait Le Coteau Fleuri, La pension Beausoleil, La Joyeuse Nichée, L’Hôtel des Acacias, Chante
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