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La force du bien

La force du bien

Titel: La force du bien Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marek Halter
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nous avions ménagé un petit pertuis pour pouvoir nous échapper par les combles, au cas où…
    — Un soir, se souvient Mme Monod, on a téléphoné à mon mari de ne pas dormir chez nous parce qu’il y avait eu des arrestations à Marvejols. Mon mari était fatigué, il avait de la température et un furoncle qui le faisait beaucoup souffrir. Nous sommes allés trouver des amis – des gens qui sont toujours nos amis et que nous aimons beaucoup – pour leur demander si mon mari pouvait dormir chez eux. Ils n’ont pas osé refuser, bien sûr, mais avec une telle gêne, une telle réserve, que nous n’avons pas voulu leur imposer ça. Mon mari a dit : “ Tant pis ! Advienne que pourra, je coucherai chez nous ! ” »
    Marc Monod regarde parler sa femme avec tendresse, un léger sourire aux lèvres.
    « Ce soir-là, nous étions comme les Juifs. On s’est sentis abandonnés, on n’avait personne d’autre… Ah, si nous avions peur, je dois dire qu’autour de nous on avait très peur !»
    Un rire sans ressentiment, un rire tranquille, vient ponctuer cette dernière observation. Je ne vais pas tarder à m’apercevoir que mes interlocuteurs ne cultivent pas davantage le regret.
    « Cinquante ans après, comment voyez-vous cette période de votre vie ?
    — Cinquante ans après ? Comme les plus belles, comme les plus passionnantes années de notre existence ! s’exclame Marc Monod.
    — Si c’était à refaire, vous le referiez ? Vous reprendriez ces risques ?
    — Ah oui ! Oui, bien sûr ! Vous savez, nous n’avons pas été résistants dès la défaite, dès 1940, pour la bonne raison que la Résistance n’existait pas encore. Mais, du point de vue moral, nous étions résistants depuis l’armistice. La Collaboration, Pétain : ça nous révulsait, nous étions contre, absolument contre !»
     
    Je quitte Le Malzieu-Ville avec des sentiments proches de ceux que j’éprouverai au Chambon-sur-Lignon où, là aussi, une population a pris tous les risques pour assumer, sans la moindre défaillance, une décision clef : accueillir, protéger, aider, sauver ceux que le nazisme menaçait d’extermination. Dans ces villages français, au contraire, on a tout fait pour qu’ils vivent. Ce type de pacte collectif silencieux, que nul ne vient trahir, me remplit d’admiration et me laisse également aux prises, je dois l’avouer, avec une certaine amertume. Pourquoi ce qui fut possible là ne pouvait-il l’être ailleurs, partout ? Les mêmes dispositions au Bien existaient, on peut en être sûr, dans d’autres villages, dans d’autres bourgades – mais davantage brimées, sans doute, par les forces de la barbarie. Il est vrai que les situations géographiques propres au Chambon et au Malzieu, très retirés dans leurs lointains, ont favorisé une action qui n’en demeurait pas moins des plus risquées – on l’a vu au Chambon. Ce que j’ai vu aussi, c’est cette disposition oecuménique des religieux, catholiques et protestants, engagés dans ces filières d’aide aux Juifs – avec, du côté protestant, un penchant net à s’identifier au peuple de l’Ancien Testament, perçu comme frère aîné en Dieu aussi bien – souvenir des persécutions antiprotestantes aidant – que comme frère d’infortune. Ces solidarités se sont constituées d’elles-mêmes, mais nous verrons qu’elles étaient renforcées, ravivées par l’action exemplaire d’hommes tels que le pasteur Trocmé. Alors que se serait-il passé si, à travers toute l’Europe, dans tous les temples, dans toutes les églises, il y avait eu, chaque semaine, chaque jour, un engagement comparable de la part des curés, des pasteurs, des dignitaires religieux de toutes confessions ?

51.
    Niché à mille mètres d’altitude à la limite du Velay et du Vivarais, sur le flanc oriental de l’Auvergne, Le Chambon-sur-Lignon est un modeste village de Haute-Loire. Distant d’une cinquantaine de kilomètres de Saint-Étienne, non loin de la ville du Puy, Le Chambon est typique de cette région des monts du Velay qui ouvre sur les hauts plateaux surplombant la vallée du Rhône à l’est et plongeant, par les Cévennes au sud, sur le versant méditerranéen de la France. Depuis le massif qui domine le village, et qu’ici tout le monde appelle le Plateau , on bénéficie par temps clair d’une vue imprenable sur les Alpes et le Mont-Blanc aussi bien que sur l’Ardèche et le Gerbier-de-Jonc, au pied duquel la

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