La force du bien
Alouette, Bel Horizon , etc.
— Des noms charmants pour faire face à une réalité historique qui ne l’était pas… Donc, c’est une communauté entière, ici, qui en a aidé une autre : les protestants se sont portés au secours des Juifs. On évoque sans cesse la figure exemplaire du pasteur Trocmé : ce mouvement de solidarité lui doit beaucoup, n’est-ce pas ?
— Ah, le pasteur Trocmé ! Un grand monsieur, que cet homme-là ! Il est mort en 1971, mais il a profondément marqué les esprits. Lui et sa femme Magda ont été si clairvoyants, si entreprenants ! Cet accueil de toute une communauté a en effet été possible grâce à l’action du pasteur Trocmé et de ses amis. André Trocmé était le pasteur du Chambon-sur-Lignon depuis 1934, mais il était secondé par l’action des treize autres pasteurs des paroisses périphériques de la nôtre. Tous, ils formaient ce qu’on appelait une “ pastorale ”, et leurs sermons, dans les temples, tournaient sans cesse autour du même thème : aidons ces persécutés ! L’impact de ces sermons était très puissant sur les habitants du Plateau, et la tradition locale d’accueil des pourchassés s’en est trouvée une fois de plus renforcée, ravivée.
— Y a-t-il eu des moments difficiles ?
— On ne peut pas dire qu’ici il y ait eu des choses, des faits spectaculaires, de l’héroïsme. Non, il y avait une sorte de méthode de l’accueil , avec des messages codés d’un pasteur à l’autre, du genre : “ Je t’envoie deux Anciens Testaments… ”
— Mais tout cela, j’imagine, suppose une sérieuse organisation de cette communauté protestante. Parce que aider tous ces gens pendant la guerre, ça veut dire : cartes d’alimentation, faux papiers, capacité de nourrir ces populations en surnombre !… On estime que cinq mille Juifs ont été secourus, ici, au Chambon…
— On dit cinq mille : c’est un chiffre rond. Mais nous n’avons pas de statistiques, de recensement précis. En fait, on peut penser qu’il y a eu entre trois mille et sept mille réfugiés recueillis sur le Plateau. Mais l’organisation, l’accueil structuré… Ce n’était pas si structuré que ça, mis à part, bien sûr, l’extrême rigueur, la parfaite conduite du pasteur Trocmé et de son épouse, ainsi, du reste, que l’action des treize pasteurs et de leurs femmes. Les pasteurs avaient une vision d’ensemble de ce qu’il se passait en Europe. Ils étaient au courant des persécutions subies par les Juifs depuis les débuts du règne de Hitler. Et ils ont su en informer leurs paroissiens, les préparer à accueillir des réfugiés : ils se doutaient que les Juifs devraient fuir. Dès 1938, ils avaient mis sur pied, en liaison avec des quakers américains de Marseille, un système, une série de filières pourvues de moyens pécuniaires pour pouvoir accueillir du monde au Chambon. Le milieu s’y prêtait puisqu’il y avait chez nous, dès avant-guerre, une multitude de pensions, de colonies pour enfants. Et puis, en 1938, avait été fondée – par le pasteur Trocmé, encore ! – l’École cévenole, qui avait de quoi héberger et instruire des jeunes. Enfin, une multitude d’institutions sont intervenues pour dire que, oui, le Plateau et le village du Chambon les intéressaient pour en faire des centres d’accueil, et qu’elles allaient soutenir cette entreprise charitable : il y a eu, parmi ces institutions, les quakers, bien sûr, mais aussi, par exemple, le Secours suisse, le Fonds social européen, le CIMADE (Comité intermouvements auprès des évacués), l’association juive OSE (Organisation de secours aux enfants).
Tous ces groupes ont su favoriser l’action en faveur de l’hébergement d’enfants et d’adultes juifs chez nous, au Chambon et sur le Plateau.
— Tout de même, cette aide, ce sauvetage – ces sauvetages en série, auxquels toutes et tous, dans la région, auront participé –, ces prodiges de dévouement et de risques pris ont un caractère exceptionnel ! La seule comparaison qui me vienne à l’esprit, où l’ensemble d’une communauté est ainsi venue au secours d’une autre, est celle du Danemark. Là aussi, il y a eu une aventure de solidarité collective, et tout un peuple de Justes !
— Oh, vous savez, les vieux du Plateau disent toujours : Il n’y a pas eu de héros. Ce que nous avons fait là était tout à fait normal. Il s’agissait d’obéir à Dieu plutôt
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