La force du bien
d’Afrique du Nord à avoir connu l’Occupation.
C’est le docteur Louis Beretvas qui, le premier, m’a parlé de Richard Abel, cet Allemand qui, là-bas, lui a sauvé la vie voici un demi-siècle. Une fois de plus, la mort a essayé de brouiller la mémoire, de couper les pistes, en emportant le docteur Louis Beretvas. Celui-ci a cependant laissé à mon intention un texte, un fil conducteur. Grâce à cet ultime geste, et avec l’aide de Mme Nelly Beretvas, sa femme, j’ai pu reconstituer les faits.
À Tunis, en 1942, les Juifs vivent dans l’expectative et la précarité. Comme nombre des siens, Louis Beretvas, à l’époque âgé de vingt-deux ans, n’ignore pas que leur sort à tous se joue à des milliers de kilomètres de là, à El-Alamein et à Stalingrad. Sa situation personnelle n’est guère brillante. Exclu de l’université d’Alger par le numerus clausus, il donne des répétitions de latin et d’anglais. Lorsque les Américains débarquent en Algérie et au Maroc le 8 novembre 1942, les Allemands, qui, à ce moment, battent en retraite sur le sol libyen, décident en conséquence de protéger leurs arrières en occupant Tunis.
Avec quatre de ses amis, Louis Beretvas quitte clandestinement la ville dans l’espoir de rejoindre les Forces françaises libres, en Algérie. En chemin, les cinq amis font halte pour la nuit à Dépienne (aujourd’hui Smiega), chez les parents de l’un d’entre eux, Yvan Enriquez. Hélas ! un fermier italien voisin les dénonce aux Allemands. Un commando arrive, dirigé par le feldwebel Richard Abel, et ils sont arrêtés. Louis Beretvas, qui parle allemand, comprend la conversation de leurs geôliers. Ses quatre amis et lui sont dans de sales draps : on les soupçonne non seulement d’être juifs, mais aussi d’être des espions – ils doivent donc être fusillés au plus vite, c’est-à-dire dès l’aube.
En l’absence de Louis Beretvas, je m’en remets ici au témoignage d’Yvan Enriquez, qui se souvient avec émotion de cette étrange et terrible nuit.
« Vous pouvez imaginer nos sentiments à ce moment-là ! Peur, angoisse… lorsque soudain l’officier allemand, le feldwebel Richard Abel, convoque Louis. Nous restons là, sous la tente, à attendre. Longtemps, très longtemps… À son retour, Louis est nerveux. Il nous confirme ce que nous savions déjà : l’officier lui a en effet annoncé qu’on viendrait nous chercher à l’aube pour nous fusiller… Et là commence l’extraordinaire. Comme Louis semblait accablé, ou paralysé par la situation, l’Allemand lui a dit : “ Vous n’allez tout de même pas attendre tranquillement qu’on vienne vous fusiller ! Vous n’avez qu’à foutre le camp, et sans traîner ! Je vais vous aider… ” »
Nelly Beretvas précise même qu’en gage de sa bonne foi Richard Abel a donné son revolver à Louis, et un plan pour s’évader et rejoindre l’Algérie. En échange, Louis a confié à l’officier allemand l’adresse de ses parents à Tunis, griffonnée à la hâte sur un bout de papier.
Les cinq jeunes gens parviendront à s’évader et à gagner Alger.
Plus tard, à l’arrivée des Alliés à Tunis, un officier allemand se présente chez les Beretvas : c’est Richard Abel.
Il explique qu’il refuse de suivre plus longtemps les armées de Hitler, mais qu’il ne veut absolument pas être fait prisonnier. La seule adresse tunisienne qu’il possède est celle des parents de Louis Beretvas. Il remet son sort entre leurs mains.
Nelly Beretvas me conte la fin de l’histoire :
« Les parents de Louis lui ont donné des vêtements civils et l’ont hébergé, en le cachant à domicile. Avec la complicité de toute la famille, ils l’ont aidé à quitter la Tunisie vers la fin de la guerre. Pensez… un Allemand sauvé par des Juifs !»
Ce lien exceptionnel va être maintenu et prolongé au-delà de la guerre :
« Depuis ces événements, pas un mois ne s’est écoulé sans que nous parlions avec Richard au téléphone, et pas une année sans que nous nous rencontrions ! Et puis Richard n’a pas fondé de foyer, et il considère notre famille comme la sienne, et nos enfants comme les siens : il vient à leurs mariages… Il est même venu assister à la bar-mitsva de l’un de mes petits-enfants !»
Cette aventure du sauveteur sauvé, je vais enfin, non loin de Francfort, en rencontrer le personnage clef. Une bretelle de l’impeccable autoroute
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