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La force du bien

La force du bien

Titel: La force du bien Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marek Halter
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son sens du maintien reprennent vite leurs droits, et il lisse de la main sa chevelure argentée avant de m’inviter à une autre question.
    « Est-ce que les nazis ont essayé, en ville, d’arrêter “ vos ” Juifs, de leur faire des ennuis ?
    — Non. Mes employés juifs avaient un brassard spécial ainsi qu’un papier d’identité, un laissez-passer signé de ma main, qui leur garantissait une libre circulation. J’ai organisé le ghetto de manière que la police ne puisse y entrer. Les Juifs ne pouvaient pas être arrêtés. »
    Je ne sais quel mauvais esprit me fait imaginer que, jeune, cet homme aurait constitué une parfaite gravure de mode pour la propagande nazie, pour peu qu’il eût été en grand uniforme. Je m’abstiens, face à lui, de cette provocante remarque. Je lui pose cependant la question :
    « Monsieur Beitz, à l’époque et dans vos fonctions, portiez-vous un uniforme ?»
    Il est très étonné :
    « Non. Pourquoi aurais-je porté l’uniforme ? Quel uniforme ? Je n’appartenais pas au Parti, ni aux SS, ni aux SA. Je ne faisais pas non plus partie de l’armée. Non, je me souviens que je parcourais les rues dans une voiture à cheval. J’étais en civil, avec un costume, un manteau et un chapeau, qui, d’ailleurs, venait de Londres !»
    L’élégance, déjà… Je le regarde. Il parle avec les coudes posés sur les bras de son fauteuil, les mains jointes, doigts entrecroisés. Ou bien il les élève à hauteur de visage comme pour mieux fouiller dans ses souvenirs. Parfois, il souligne une phrase d’un geste appuyé, dans une envolée d’une de ses mains, qui s’en va ensuite rejoindre l’autre en un geste naturel qui renoue le fil de la réflexion. Il émane de lui quelque chose d’altier, de serein : cet homme de goût n’a pas porté l’uniforme ! Toute sa personnalité va à l’encontre des signes de la barbarie. Pourtant, ne venait-il pas de l’intérieur même du système ? On va voir qu’en dépit de cette paradoxale et forte position il a cependant dépassé les bornes tolérables pour certains.
    Berthold Beitz bénéficiait, en la personne de son grand-père, d’un appui très puissant et haut placé dans l’appareil nazi, certes, mais son manège pouvait difficilement ne pas éveiller les soupçons de certains SS. En 1943, dénoncé, accusé par des Allemands de souche, des « vrais » Allemands, il est convoqué à Breslau pour s’expliquer devant le chef de district de la Gestapo. Un dossier est ouvert à son encontre, où il lui est reproché de se livrer à un trafic de protection et de soutien des Juifs. Voilà qui pouvait le conduire à la mort, ainsi, du reste, que sa femme et leur fillette. Tout d’abord, aveuglé par la lampe de bureau, il ne reconnaît pas le responsable nazi qui l’interroge. Puis l’homme se montre : il s’agit d’un ancien condisciple ! Celui-ci, jadis, avait étudié pour devenir pasteur ; faute de réussir, il s’était engagé dans les SA, et avait gravi les échelons… Sans plus insister, le chef de district sourit, déchire le dossier et en jette les débris au feu. Chance de Berthold Beitz…
    « La chance ? dit-il. Oui. Vous savez, si vous donnez l’impression de n’être pas sûr de vous, cela peut vous coûter votre chance… Mais je pense que si l’on sait ce qu’on veut, si on le veut de toutes ses forces, eh bien… on la crée, ou on lui donne sa chance !»
    Donner sa chance à la chance, ne serait-ce pas là l’un des gestes élémentaires de tout acte de bonté, de tout désir de justice ?
    Un peu plus tard, Beitz commente pour moi l’abominable cliché, primé par Hitler lors d’un concours national de photographie en 1941, qui représente un soldat allemand dans une plaine enneigée, tuant à bout portant une femme serrant son enfant contre sa poitrine – et assassinant du même geste l’enfant avec la mère.
    « C’est cette photo qui vous a sensibilisé au sort des Juifs ? lui ai-je demandé.
    — Je connaissais la photo, mais jusqu’à mon arrivée à Boryslaw je n’avais jamais assisté à pareille scène. »
    Berthold Beitz se tait un long moment, puis :
    « Quand vous assistez à l’exécution d’une femme avec son enfant dans les bras et que vous avez vous-même un enfant, vous ne pouvez pas rester indifférent. »
     
    C’est cela, c’est cette disposition à la compassion immédiate que les pires systèmes totalitaires et leurs exterminateurs ne

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