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La force du bien

La force du bien

Titel: La force du bien Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marek Halter
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de justifier sa démarche devant l’Éternel : «  Voici, j’ai osé Te parler, moi qui ne suis que cendre et poussière. Mais Celui qui voit toute la terre et qui exerce la justice va-t-Il condamner pour les crimes des uns, pêle-mêle, les Justes et les criminels ? »
     
    Un ami me fait remarquer que parler du Bien ici, en Hollande, dans un pays où tant de Juifs ont été exterminés, peut apparaître comme une volonté d’effacer les crimes, les péchés, les fautes, et pourrait être interprété comme l’annonce de la fin de ce « temps de deuil » dont parlait Freud, comme le début de la réconciliation de tous avec le passé. Sottise ! Le passé est irrévocable et toute vérité est éternelle. Dieu lui-même ne saurait faire en sorte que ce qui a lieu n’ait jamais été. Du passé, nous pouvons seulement essayer de tirer des leçons afin de prévenir la répétition des massacres. Pour parer au retour des crimes, nous avons à nous souvenir de ceux de jadis et d’hier. Baruch Spinoza, à Amsterdam, au XVII e siècle, l’avait pressenti en inscrivant sur son cachet cette vigilante devise : Caute , c’est-à-dire « méfie-toi ». On raconte que, ayant été poignardé un jour par un fanatique, il garda toute sa vie son justaucorps percé pour ne pas oublier cette agression ni, sans doute, cette leçon. Nous ne savons pas si le philosophe avait pardonné à son agresseur, mais nous savons qu’il ne voulait ni effacer ni oublier.
     
    Il existe peu de villes en Europe où, comme à Amsterdam, notre regard croise autant de plaques de souvenirs, de monuments, de rappels de toutes sortes de la déportation des Juifs. C’est là aussi qu’a vécu un fonctionnaire zélé qui inventa une carte d’identité infalsifiable qu’il s’empressa d’aller proposer, avec la bénédiction de ses supérieurs, aux services de la Gestapo de Berlin. « De 1940 à 1945, fait observer un historien hollandais, il n’y a eu de fléau qui infligeât au peuple juif des blessures plus cinglantes que cette exécrable carte d’identité. »
    Alors, pardonner ? Mais «  pourquoi pardonnerions-nous à ceux qui regrettent si peu et si rarement leurs monstrueux forfaits ? se demandait Vladimir Jankélévitch, qui ajoutait : Car si les crimes inexpiés sont précisément ceux qui ont besoin d’être pardonnés, les criminels irrepentis sont précisément ceux qui n’en ont pas besoin . »
    Pour ma part, j’ai toujours pensé que c’est la mémoire du Mal qui m’a fait si souvent agir, du mieux que j’ai pu et très modestement, en faveur du Bien. À présent, malgré le doute qui m’assaille et les questions encore sans réponse, c’est elle qui me stimule, qui m’encourage, sur ces quais d’Amsterdam où souffle un vent glacial, à poursuivre ma recherche des Justes.
    La personne que je vais rencontrer m’est inconnue. J’ai fait la connaissance de sa petite-fille, Irit, chez mon ami Victor Halberstadt. Bravade de jeune fille ou réalité ? Elle m’avait lancé : « Vous cherchez des Justes ? Allez donc voir ma grand-mère, Henriette Kroon !… »

26.
    Une porte claque. Une autre s’ouvre sur une cage d’escalier étroite. Le bois des marches, dont la pente est très raide, sent l’encaustique. Au mur de droite sont suspendus des vélos. En haut m’attend une belle et vieille dame qui actionne un cordon relié à la porte d’entrée. Celle-ci se referme. La vieille dame me fait entrer, sourit, et va s’asseoir auprès d’Irit, qui a préparé notre entrevue. J’ai devant moi la grand-mère d’Irit : Henriette Kroon, une Hollandaise qui a sauvé des Juifs pendant la guerre.
    Cheveux blancs en touffe ovale autour du visage, grosses boucles d’oreilles, fines lunettes, veste gaie comme un jeu de cartes (elle est ornée de figurines des quatre couleurs : trèfle, carreau, coeur, pique !), cette grand-mère paraît jeune. C’est une petite femme alerte, vive : elle a l’air d’être une septuagénaire en pleine forme – alors qu’elle n’a pas loin de quatre-vingt-dix ans… Elle est de ces êtres qui paraissent fragiles et forts à la fois. Lorsqu’elle lève les sourcils ou plisse le front en parlant, c’est plutôt comme le font les enfants, avec une fraîcheur intacte et spontanée. Mais ce qu’elle dit est d’une parfaite lucidité, et d’une détermination non moins intacte, non moins catégorique et simple. Elle n’a rien oublié de cette époque où elle

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