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La force du bien

La force du bien

Titel: La force du bien Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marek Halter
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leurs fuites hagardes et de leurs sauvetages ! Après coup, ils ont même essayé de comprendre, d’analyser les raisons qui leur avaient rendu si difficile l’accès à l’évocation de cette période de leur vie. Difficile, oui, comme s’ils se martyrisaient eux-mêmes d’en parler. En revanche, ils évoquaient d’emblée leurs sauveteurs : ils les désignaient comme étant « de la famille », disant à leurs enfants : « Tiens, ça fait un moment que nous ne sommes pas allés rendre visite à la tante de Maastricht, ou à l’oncle de Haarlem, ou au cousin d’Utrecht. » Je m’étonnais : « Il y a donc des Juifs à Utrecht ?» Et ils riaient : ces « tantes », ces « oncles » sont les gens qui les ont cachés, gardés en vie, éduqués et soignés quand leurs véritables parents périssaient à Auschwitz. Leur relation avec leurs sauveteurs est très particulière, de caractère filial – et cet aspect filial perdure avec les enfants, pour lesquels il s’agit d’un fait acquis : oui, papa a vécu là, on ne sait plus trop comment « il est famille » avec ceux-là, mais c’est bel et bien la famille, que l’on est content d’évoquer, que l’on est heureux d’aller voir.
    Jusqu’à ce jour, je n’avais rencontré qu’un seul cas illustrant cet étrange rapport familial entre enfants de sauvés et enfants de sauveteurs. C’était en France. René Frydman, médecin connu, est né en pleine guerre, en 1943, à Soumoulou, petit village de la région de Pau où ses parents étaient cachés. Or ses parents ne sont plus de ce monde, et le couple qui les a sauvés non plus. Mais, plus de cinquante ans après, le fils des sauvés, René Frydman, et le fils des sauveteurs, André Cazenave, sont toujours amis.
    C’est en pensant à eux que je me rends chez Willie Wiechmann, où m’attend Victor Halberstadt.
    Dans le petit appartement, assis dans un fauteuil aux côtés de son ancienne sauveteuse, Victor sourit. Dans ce cadre douillet, où les étagères sont garnies de livres, il est à l’aise, il est chez lui de toujours ou presque. La première fois qu’il est venu dans cette maison, en février 1942, il était accompagné de sa soeur, alors âgée de cinq ans ; il avait lui-même deux ans. Cette demeure, il y a été caché, nourri, soigné, élevé : c’est la sienne. Willie Wiechmann, quant à elle, le couve du même regard, chaud et maternel, qu’elle offre à son véritable fils, lui aussi présent. Plus étonnant encore : Victor se conduit comme un habitué des lieux, tandis que le fils de Willie Wiechmann paraît l’invité de passage. Ils ont grandi ensemble, mais l’un ne risquait pas d’être pris dans une rafle, et l’autre devait rester caché ; on pourrait presque penser que Mme Wiechmann, par la force des choses, a dû se faire davantage de soucis pour cet enfant menacé de mort, et qu’il fallait protéger avec la plus grande vigilance, que pour le sien propre.
    Elle revit la période de la guerre en évoquant les menues – et dangereuses – tâches quotidiennes :
    « Après l’arrestation de mon mari, j’ai emménagé dans cette maison. Un jour, un homme m’a demandé de cacher sa femme et son enfant. Ensuite, cette femme m’a prié de cacher un garçon juif. Ma maison a aussi servi de refuge et de cache transitoire pour des employés de l’hôpital juif. Quand Victor et sa soeur sont arrivés, j’hébergeais déjà deux personnes, dont l’une appartenait à la Résistance, et il fallait nourrir tout ce petit monde. Notre résistant juif s’en chargeait, avec les risques que cela comportait : il fallait sortir, muni de papiers officiels, pour obtenir des coupons de ravitaillement. Ces coupons étaient numérotés et contrôlés. Lors de la distribution, il était indispensable de bien repérer l’officier de contrôle. Il s’agissait toujours d’un Hollandais. S’il était proallemand, le risque était très grand de le voir confisquer la carte d’alimentation d’un juif. La condition numéro un pour que tout se passe bien était d’avoir affaire à un officier neutre. Toute cette stratégie de repérage quant à l’identité de l’officier de service était fondamentale : en cas d’échec, pas de coupons alimentaires, donc plus de cachette…
    — Un jour, se souvient Victor Halberstadt, les Allemands et les SS hollandais ont encerclé notre quartier. Ma mère, ma soeur et moi avons dû monter sur les toits, puis nous nous

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