La force du bien
hébergeait des malheureux que persécutait la barbarie nazie.
« Oui, dit Henriette Kroon, ça se passait dans cette maison même… Et là où loge aujourd’hui ma petite-fille, au quatrième étage, il y avait un de nos amis. C’était tout à fait risqué, mais personne ne savait. Les Juifs que nous cachions ne quittaient pas la maison. Ils ne sortaient pas. C’était difficile pour les hommes. Mais il ne fallait pas qu’ils sortent.
— Et les Allemands ?
— Les Allemands ? Non, ils ne rentraient pas dans la maison. Ils n’ont jamais mis les pieds ici.
— Une chance ! Et la police hollandaise ?
— Lorsque les SS hollandais frappaient à la porte, je n’ouvrais pas. Une fois, ils sont venus. Ils ont frappé à la porte avec violence, et un des Juifs de la maison s’est caché. Des moments horribles pour lui comme pour nous… Je n’ai pas ouvert. Puis ils sont partis sans insister davantage. Je ne sais toujours pas ce qu’ils voulaient nous demander ce jour-là… L’autre Juif qui vivait en haut, au quatrième étage, était prévenu. Nous avions une cloche, et notre code était de sonner trois fois. Il savait ce que cela signifiait.
— On avait construit un double mur, précise Irit, la petite-fille d’Henriette Kroon. Ainsi, il pouvait traverser le couloir…
— Et il se cachait. Il restait caché dans un placard… Ce jour-là, lorsque les nazis se sont éloignés, nous avons à nouveau sonné la cloche : pour qu’il sache que l’alerte était terminée, qu’il était sauvé. Après des événements de ce genre, nous restions longtemps sous le choc.
— Je vois que vous étiez bien organisés : la clochette, les codes, un double mur…
— Oui, bien sûr. C’était indispensable.
— Et la peur ?
— Elle était là, quelquefois, oui… Mais au fond nous n’avions pas très peur. Nous avions à agir. Et puis nous recevions de l’aide, de la nourriture, des soins médicaux. C’était aussi cela, l’organisation : nous étions très peu, mais nous n’étions pas tout à fait seuls… ça aide à faire face !
— La première fois que vos voisins vous ont demandé de recueillir leurs neveux, pourquoi avez-vous accepté ?
— C’était un geste humain. Et puis c’était ma façon de faire offense à Hitler, si vous voyez ce que je veux dire… »
Henriette Kroon faisait partie d’un réseau. Son opposition à Hitler était catégorique, et sa détermination, totale. Coûte que coûte, il fallait résister au nazisme et, si Hitler avait décidé de déporter des rouquins, nul doute qu’elle aurait sauvé des rouquins ! Après la guerre, chose curieuse, une de ses filles rencontre un soldat de la Brigade juive, en tombe amoureuse et s’en va vivre avec lui en Israël… Et c’est ainsi que la petite-fille d’Henriette Kroon, Irit, est une Israélienne qui parle l’hébreu et le hollandais ! Elle fait aujourd’hui ses études à Amsterdam, et elle vit chez sa grand-mère. C’est elle, souvent, qui incite celle-ci à raconter, à expliquer les sauvetages de Juifs pendant la guerre. Et sa grand-mère, du haut de ses quatre-vingt-huit ans, sourit et se souvient. Elle accompagne sa petite-fille de temps à autre en Israël pour y voir sa propre fille, et la famille. Elle a caché tous ces Juifs à la maison, et les voici maintenant dans la famille…
Henriette Kroon rit :
« Le destin !…
— Pourquoi avez-vous fait tout cela ?»
Elle relève la tête, le regard étonné, puis, comme un défi :
« Pourquoi pas ?
— Vous êtes croyante ?»
Henriette Kroon sourit à ma question.
« Oui, bien sûr », me dit-elle.
Et elle se signe. Son sourire s’élargit et rayonne. Tout son visage s’épanouit.
« Je suis protestante. Mais vous savez, ce que j’ai fait, c’était humain, c’est tout : ça n’avait pas à être dicté par la croyance…
— Cinquante ans après, si c’était à refaire ?…
— J’espère que je le referais !»
Au fond d’elle-même, elle n’en doute pas un seul instant ! Oui, elle recommencerait – j’en suis persuadé. Elle joue avec ses bagues en me parlant, une main scrutant l’autre du bout des doigts, et je la sens indignée à l’idée que tant de malheur et de désolation puissent revenir s’abattre sur le monde.
Exalté par cette rencontre, je décide de partir le jour même à Westerborg où, dans une ancienne ferme, une autre Hollandaise, Annie Baetsen, et son mari
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