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La force du bien

La force du bien

Titel: La force du bien Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marek Halter
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médecin proallemand. Moi, je ne dirai rien. Je n’ai jamais vu de petite fille juive ici… ” Et puis, à Drenthe aussi, nous étions entourés de gens du NSP. Mon frère les croisait tous les matins, il leur disait bonjour comme si de rien n’était. Dans le quartier, il y avait un enfant juif dont le père avait été arrêté. Là, j’ai eu très peur. J’ai passé des nuits entières sans pouvoir dormir. Et puis, en septembre, j’ai accouché d’une petite fille, “ ma seconde ”, puisque “ la première ” était Sira… Elle a un an et quatre mois de moins que toi, hein, Sira ?»
    L’intéressée sourit et acquiesce.
    « Vous voyez, me dit-elle, ce que je vous avais dit à propos de mes deux mères. Parce que ma mère, elle, est revenue sauve de ces années de guerre. Et j’appelais tante Annie “ maman ”. Je ne me suis mise à l’appeler “ tante Annie ” que beaucoup plus tard… Et quand je montrais de l’affection à l’une, j’avais mauvaise conscience : comme si je volais du même coup une parcelle d’amour à l’autre. Mais comment faire ? Toute mon enfance a été marquée par ça. Quand “ ma maman ” Annie disait aux gens : “ Ce qu’elle est jolie, ma petite fille ”, je me sentais fière et heureuse, et puis je pensais à ma vraie maman en me demandant : “ Mais si elle entendait ça, comment elle le prendrait ?… ” Mais l’intégration familiale était totale, j’étais de la famille, chez tante Annie qui était ma maman… D’ailleurs, quand je me suis mariée, j’ai dit à mon mari, le rabbin Sodentrop : “ Viens, il faut que je te présente mon autre mère : Annie Baetsen. ” J’ai téléphoné ici, en prévenant tante Annie de notre arrivée… Nous sommes arrivés en voiture, mon mari et moi, avec des cadeaux, un énorme bouquet de fleurs, etc., je savais que nous étions attendus, ainsi qu’un plantureux repas. La fête, en somme. Je me suis présentée à la grande porte, j’ai sonné – rien. J’ai resonné – toujours pas le moindre signe de vie. Un peu inquiète, je suis passée à l’arrière de la maison, et suis arrivée à la petite porte, celle qui donne sur la cuisine. Ils étaient tous là, à attendre. La sonnette ? Ils n’avaient rien entendu… Et puis tante Annie m’a dit en souriant : “ Quoi, ma fille, tu n’es plus de la famille ? Il n’y a que les amis, ou les inconnus, qui sonnent à la grande porte. Tu ne pouvais pas passer par la cuisine, comme d’habitude ?… ” »
    Les deux femmes éclatent de rire.
    Je reviens aux années de guerre. Je veux savoir pourquoi Annie Baetsen, en dépit de tous les risques, a sauvé des Juifs.
    « Vous savez, il faut comprendre… Il faut imaginer ce qui se serait passé si personne n’avait rien fait contre les nazis : ça aurait été le chaos. C’était déjà infernal, oui, mais ça aurait été le chaos. On savait bien que c’était dangereux, mais ici, à la ferme, je n’avais pas peur. C’est ensuite que j’ai commencé à avoir très peur, là-bas, à Drenthe. Ici, il y avait de quoi se cacher. Tenez, par exemple, vous voyez ce bosquet, ces gros buissons, là, devant la maison ? Eh bien, quand il y avait des visites, j’y emmenais nos Juifs pour qu’ils soient à l’abri des mauvaises curiosités. Mais je ne passais pas mon temps à me demander pourquoi je faisais tout ça. Je le faisais, c’est tout. On veut aider d’autres gens, on veut aider son prochain – on ne peut pas faire autrement !
    — Cinquante ans après, comment voyez-vous tout cela ? Avez-vous des regrets ?
    — Des regrets ? Oh non, pas du tout ! Et s’il y avait encore une guerre, je referais la même chose ! Pourquoi devrais-je regretter d’avoir aidé des gens ? S’il le fallait, je les reprendrais chez moi tout de suite ! Et puis, pour Sira, une enfant si gentille, si adorable, j’étais si heureuse de l’avoir près de moi : comment éprouver du regret ? Bien sûr que je la cacherais encore !»
    Annie Baetsen rit de bon coeur. Elle serre la main de Sira Sodentrop dans les siennes. Comment un Hitler quelconque, quelles que soient sa force et sa férocité, pourrait-il effacer toute trace de bonté du coeur humain ? Il n’est pas venu à bout d’Annie Baetsen ni de sa « petite fille ». Il n’est pas venu à bout de centaines d’autres, de milliers d’autres de ces Justes et de leurs protégés. En certains moments extrêmes de l’Histoire, le mal peut

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