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La force du bien

La force du bien

Titel: La force du bien Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marek Halter
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élection à l’autre… Depuis cinquante ans, ce débat revient chaque fois : comment tant d’apathie et de complaisance envers le crime ont-elles pu sourdre d’un pays qui a fait preuve, et de longue date, de sa tolérance et de son humanisme, d’un pays où les huguenots français ont pu trouver refuge, d’un pays qui a accueilli les encyclopédistes et les Lumières ? Ed Van Thijn secoue la tête. Une telle interrogation est douloureuse, et nul n’est en mesure d’apporter des explications éclairantes ni de produire quelque décisive analyse.
    À défaut de saisir l’origine de la turpitude, le maire d’Amsterdam, dont le visage exprime tour à tour la tristesse et le doute, revient au versant positif de cette époque. Il insiste à présent sur la chaîne de solidarité, sur « les mille pour en sauver un » :
    — Moi, vous savez, j’ai eu dix-huit mères et dix-huit pères !… J’ai été caché dans dix-huit endroits différents, chez toutes sortes de gens, protestants, laïcs, catholiques, grâce à une organisation fondée par un groupe de jeunes.
    — Comment s’appelait cette organisation ?
    — Ah !… “ L’entreprise sans nom ”, ce qui la définissait comme société réellement anonyme, parce que ces jeunes ne voulaient pas revendiquer pour eux-mêmes la noblesse de leur action. Ce réseau a caché deux cent dix enfants juifs. Chaque enfant nécessitait en moyenne quatre, sinon cinq cachettes – ce qui signifiait entre huit cents et mille cachettes au total, et L’entreprise sans nom, forte de vingt personnes, s’employait à trouver ces refuges, et les trouvait ! Chaque enfant juif sauvé l’a été par vingt, trente, parfois quarante familles… Imaginez, en se déployant à travers toute la Hollande, ce réseau à l’ouvrage : aussi invisible qu’anonyme, mais tout à fait efficace eu égard à la modestie de ses moyens. »
    Le visage d’Ed Van Thijn, souriant à l’évocation des sauvetages réussis, se rembrunit. Il peine à avaler sa salive. Il est oppressé. Les souvenirs se bousculent, et ceux-ci, placés sous le signe de l’échec, lui serrent le coeur :
    « Pourtant, dit-il d’une voix altérée par la douleur, beaucoup de ces gens ont été dénoncés aux Allemands, arrêtés, torturés, tués. Certains de ceux qui ont survécu n’ont pas pu, n’ont pas voulu, après la guerre, rester en Hollande… »
    Et nous voici devant ce paradoxe : la honte des Justes ! Ils avaient honte de l’attitude majoritaire de leurs concitoyens, si prompts à collaborer avec les nazis, à dénoncer les Juifs durant toute la guerre, et qui, la paix venue, regardaient d’un oeil trouble, plein de mauvaise conscience et d’hostilité voilée, ces sauveteurs qui avaient, eux, risqué leur vie pour venir en aide à des êtres persécutés. Bon nombre de ces sauveteurs, donc, sont partis. Beaucoup sont allés en Afrique du Sud rejoindre les Boers – la femme qui a sauvé Ed Van Thijn, par exemple. Ils préféraient retrouver les descendants de leurs ancêtres hollandais, partis quatre siècles avant eux, plutôt que de continuer de vivre comme si de rien n’était au milieu de contemporains dont le comportement durant la guerre leur était apparu haïssable, et celui d’après-guerre, hypocrite. D’autres ont émigré ailleurs, mais loin : au Canada, en Australie, comme s’ils avaient voulu mettre un maximum de distance entre les Hollandais et eux.
    Ce fait me trouble. Tout se déroule ici comme si quelque chose du destin juif passait dans la vie même de ces sauveteurs qui avaient aidé ces mêmes Juifs : comme une manière de « diaspora des Justes de Hollande », mais librement décidée par ceux-là même qui se sont exilés.

24.
    Si les sauveteurs hollandais ont eu tendance à se disperser aux quatre coins du monde (mais pas tous, certes), les Juifs sauvés, eux, se réunissent de temps à autre. La première réunion de ce genre à Amsterdam a été organisée par Victor Halberstadt. J’y ai assisté. Et j’ai eu droit à une soirée paradoxale : ces gens qui se connaissaient depuis trente, quarante ans ou plus, depuis l’enfance, depuis l’école, qui étaient des amis les uns pour les autres, voire même des frères, des soeurs, furent amenés ce soir-là à faire connaissance , à se parler comme ils ne l’avaient pas encore fait, à se raconter des événements qu’ils ne s’étaient jamais racontés, en particulier certains épisodes de

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