La force du bien
et Sachsenhausen.
Un an plus tard, les troupes allemandes envahissent la Pologne. Le 20 mai 1940, le camp d’Auschwitz est inauguré. Le 31 juillet 1941 est défini et aussitôt mis à exécution le plus odieux projet qui soit : la Solution finale , c’est-à-dire l’extermination complète, définitive, de tout un peuple – le peuple juif, qui doit, selon les voeux de Hitler et des siens, disparaître de la surface de la terre.
Ceux qui ont vécu cette période dans les pays libres et qui n’ont pas manifesté le moindre élan de solidarité avec les persécutés répondent aujourd’hui : « Nous ne savions pas », ou encore : « La télévision n’existait pas ; nous n’avions pas d’images qui auraient pu rendre crédibles des informations aussi insensées. »
Or ces images existaient ! Les actualités cinématographiques et la une des journaux de l’époque abondaient en reportages montrant ces Juifs qui, le désespoir au coeur, tentaient de fuir leurs bourreaux, et de s’approcher – en vain – des côtes américaines. Les frontières terrestres leur étaient fermées. Restait la mer. Des embarcations de toute nature la sillonnaient, surchargées de milliers de réfugiés : ces premiers boat-people du siècle, personne ne pouvait les ignorer.
Bateaux du malheur, dont quelques noms nous sont restés, ainsi que leurs tristes odyssées : ils s’appellent le Saint-Louis , la Struma , le Mefkura , le Pancho … En mai 1939, le Saint-Louis quitte Hambourg, avec neuf cent sept réfugiés juifs à bord. Arrivé près des côtes américaines, le navire est refoulé. Il est refoulé encore à La Havane : à l’idée de devoir retourner en Allemagne, plusieurs passagers se suicident. Pendant des semaines, le navire va errer sur l’océan. Personne ne veut l’accueillir. Enfin, par compassion pour ses passagers, le capitaine, un Allemand, impose leur présence aux autorités britanniques : en échouant volontairement son vaisseau, en l’abîmant sur les côtes anglaises.
À ce moment, de rares opinions publiques s’émeuvent. La Hollande, la France et la Belgique acceptent d’accueillir quelques-unes de ces familles de réfugiés. Hélas, ces trois pays seront bientôt occupés, et les survivants du Saint-Louis qu’ils viennent d’héberger vont être repris et envoyés à Auschwitz…
De Roumanie appareilleront plusieurs bâtiments chargés de clandestins juifs désireux de rejoindre la Palestine, alors sous mandat britannique. Ainsi la Struma en 1942, le Mefkura en 1944. Ils seront refoulés par la Royal Navy, et finiront par couler dans le Bosphore…
Seuls les quelque huit cents passagers juifs du Pancho , qui se saborde près de la côte palestinienne, à l’exemple du Saint-Louis , seront repêchés par les Anglais – lesquels Anglais, après ce sauvetage forcé, ne manqueront pas d’expédier les malheureux rescapés dans des camps d’internement aménagés au Soudan et au Kenya !
Errances désespérées auxquelles on refuse escales et ports d’accueil, persécutés abandonnés aux flots et mis au rebut du monde : nous voici bien loin du magnifique geste des Danois qui, à l’inverse, utilisèrent la mer et leurs frêles bateaux de pêche pour, en 1943, soustraire leurs compatriotes juifs aux persécutions nazies !
Oui, le souvenir danois, au regard de l’indifférence du monde d’alors à l’égard de la tragédie juive, est d’un faible réconfort, même si ce réconfort est là pour attester, envers et contre tout, de la présence du Bien au sein même des ténèbres.
La Loi, le Bien, le Mal… Je ne suis mandaté par personne pour y songer. Je suis mandaté par une angoisse qui me dévore. Les hommes, mes parents, la vie m’ont transmis une idée pessimiste, désespérée, de l’humanité : personne, non, personne n’est venu nous aider.
Dans ma recherche des Justes, c’est cependant à l’encontre de cette affirmation que je marche, à l’encontre du caractère catégorique, donc trompeur et, de fait, erroné, de cet accablant constat. C’est parce que la justice n’existe pas qu’il faut la faire. Et il est vrai que les Justes viennent infirmer le propos selon lequel personne n’est venu nous aider.
Cependant l’essentiel n’est pas de connaître le passé, mais d’établir une idée du passé dont on pourrait se servir comme terme de comparaison pour comprendre le présent. Les informations que j’ai recueillies sur le
Weitere Kostenlose Bücher