La force du bien
Juif, était un peu nerveux lorsqu’il est allé prendre son verre. Alors, l’un des nazis est venu, d’un coup de poignard, lui transpercer la main ! Il avait la main collée à la table ! Il a poussé un cri, il a hurlé de douleur. Le nazi a repris son couteau, puis il est ressorti avec son compagnon et Varian les a entendus s’exclamer : “ C’est bien d’avoir du sang juif sur une lame allemande ! Aujourd’hui, c’est fête ! Pour nous, c’est une belle journée de fête ! ” Il a vu tout ça, toute cette scène infâme. J’ai toujours pensé que cet incident qu’il m’a raconté a beaucoup compté dans son engagement contre les nazis par la suite. C’est pour ça qu’il est venu en France. Il avait compris ce qui se passait, ce qui allait se passer. Il se tenait informé. Il m’a raconté des choses horribles sur ce qui avait lieu dans l’est de l’Europe. Et il m’a révélé que des gens très importants, des écrivains, des peintres, des musiciens fuyaient devant les nazis, qu’ils se trouvaient bloqués à Marseille et qu’il fallait les aider.
— Le consulat américain de Marseille vous a-t-il apporté son soutien pour cette opération d’aide ?»
À cette question, c’est Marianne Davidport qui répond avec vivacité, sur le ton de l’exclamation. Elle est la première à avoir été contactée, à l’époque, par Varian Fry. C’est elle qui a présenté Mary Jane Gold à celui-ci. Elle aussi est une dame à cheveux blancs, pleine de verve, et qui n’oublie rien. Le consulat américain de l’époque ? Sur le mode critique et avec toute l’ironie dont elle sait faire preuve, elle n’hésite pas un instant à mettre les points sur les « i » :
« Ah non ! le consulat ne nous a pas aidés ! Jamais ! Au contraire : il n’aimait pas notre “ clientèle ”, il n’aimait pas le travail qu’accomplissait Varian. Il nous trouvait encombrants, et plutôt gênants… Le consul général américain n’aimait pas les Anglais. Il pensait que les Anglais allaient perdre la guerre, que c’était aux Allemands de la gagner !»
Un homme d’un certain âge intervient. C’est Jean Guimilip, lui aussi compagnon de lutte de Varian Fry et ami de longue date de Mary Jane et de Marianne :
« Non, c’était en 41… En 40, Varian venait de créer l’Emergency Rescue Committee… »
Comme il arrive souvent dans une réunion de plusieurs personnes que passionne le même sujet, la même expérience vécue en commun, tout le monde se met soudain à parler en même temps.
Marianne Davidport évoque les circonstances :
« Quand les Allemands ont envahi la France, j’étais à Montpellier où je faisais une étude sur Rabelais. L’Amérique n’était pas encore entrée en guerre. Devant l’avancée des armées allemandes, je suis allée prendre contact avec mon consulat, à Marseille. En principe, en tant qu’Américaine je ne devais pas être inquiétée. Et c’est là que j’ai fait la connaissance d’un jeune universitaire américain comme moi : Varian Fry. À l’époque, il dirigeait un certain Centre américain de secours. Nous avons discuté… et il m’a embarquée dans son aventure ! Nous n’étions pas nombreux : quelques Américains, deux ou trois Français, et nous avions très peu de moyens. Or, pour faire sortir les gens de cette souricière qu’était devenu Marseille, il fallait beaucoup, beaucoup d’argent… »
À ce moment, Jean Guimilip intervient, et donne des précisions :
« Oui, il fallait énormément d’argent. Mais il fallait aussi des faux papiers, un réseau de passeurs et d’informateurs. Et si nos pensionnaires devaient traverser les frontières espagnole et portugaise pour embarquer à Lisbonne, il fallait aussi trouver des visas. Car tous regardaient vers le large, monsieur… Le large : leur unique chance d’échapper à la mort… »
Tous ces candidats à l’exil veulent atteindre l’Atlantique et l’au-delà de l’Atlantique : le continent américain, spécialement les États-Unis. Mais la loi des quotas de 1924 limite le nombre des visas d’entrée dans ce pays qui, à l’origine, fut constitué d’émigrants, d’exilés et de proscrits venus du monde entier. Le protectionnisme, un certain antisémitisme diffus mais sourcilleux : les demandes de visas sont le plus souvent rejetées. Les candidats à l’émigration ne sont par ailleurs autorisés à quitter le territoire français que
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