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La force du bien

La force du bien

Titel: La force du bien Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marek Halter
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départ du train, à Marseille, alors que j’y étais monté : c’était une erreur dont les responsables seraient punis. Ils mettaient une voiture à ma disposition pour revenir à Marseille. Je leur ai rétorqué que ce n’était pas une erreur, et qu’il était scandaleux que des citoyens turcs de confession juive aient été ainsi entassés dans des wagons à bestiaux ! J’ai poussé mes exigences : un consul de Turquie pouvait se le permettre, y compris face aux plus acharnés des nazis. Je leur ai dit qu’il était hors de question que je laisse ces gens seuls ; en tant que citoyen d’une nation et représentant d’un gouvernement pour lequel les croyances religieuses ne devaient d’aucune manière relever d’un traitement aussi indigne, je refusais de partir pour Marseille sans eux. Sans doute les officiers avaient-ils reçu des ordres conciliants. Ils me demandèrent si toutes celles et tous ceux qui m’entouraient dans le wagon étaient des Turcs. Je me souviens de ces regards d’hommes et de femmes, de ces yeux d’enfants suspendus à mes lèvres. Tous, pétrifiés, observaient la palabre dont dépendait leur vie. J’ai affirmé que tous étaient turcs. Finalement, les SS nous ont fait descendre du train et nous ont laissés là. Je n’oublierai jamais : les personnes qui venaient d’être sauvées se sont jetées à notre cou, à Sidi et à moi, elles nous ont pris dans leurs bras, nous ont serré les mains avec des regards pleins de larmes et des mots de gratitude, des sanglots étouffés… Nous sommes tous rentrés à Marseille ; Sidi Iscan et moi avons loué une voiture en méprisant ostensiblement la Mercedes-Benz que les nazis avaient mise à notre disposition. »
    Necdet Kent reste un instant pensif, le regard perdu au loin, puis :
    « Dans ma vie, je n’ai jamais ressenti une paix intérieure comme celle qui m’a envahi au petit matin, ce jour-là, lorsque je me suis glissé enfin dans mon lit… Tout au long des années, j’ai reçu des lettres de beaucoup de mes compagnons de cet étrange voyage. Aujourd’hui, qui sait combien d’entre eux sont encore en bonne santé et combien nous ont quittés ? Je pense toujours à eux avec affection, avec émotion, même à ceux qui peut-être ne se souviennent plus de moi… »
     
    Pourquoi ce Juste a-t-il attendu cinquante ans pour parler ?
    Pourquoi ai-je attendu cinquante ans pour l’interroger ?
    Savons-nous bien, l’un et l’autre, que nous sommes les derniers témoins ? Que les années nous sont comptées ? Que nous entendons les ultimes soupirs du siècle ?
    Plus grave encore : savons-nous bien que, sous nos yeux, la mémoire se fige en histoire ?
    Que tout peut recommencer ?
    Que, déjà, tout recommence ?

45.
    « Il y a eu, il y a des horreurs dans le monde entier, me fait observer le cardinal Jean-Marie Lustiger, mais, excuse-moi, elles n’ont pas le même sens que la Solution finale inventée au coeur de l’Europe par les nazis pour anéantir un peuple, pour le faire disparaître. Au coeur de l’Europe  : c’est-à-dire dans cette aire géographique du judaïsme, du christianisme et des droits de l’homme. C’est dans ce lieu qui propose au monde quelque chose comme l’idéal civil de la condition humaine que naît et se développe ce mal auquel il faut trouver remède !… En fait d’éducation… je crois que les catégories (mon Dieu, quel mot abstrait pour dire ça !), enfin… les latitudes du pardon, de la réconciliation, si dures, si difficiles à vivre mais si importantes, si décisives, font partie de l’apprentissage de l’amour du prochain. Aimer son prochain comme soi-même , oui, c’est la Bible – et l’Évangile va plus loin, jusqu’à recommander d’aimer vos ennemis  ! Tout homme est frère de tout autre homme parce qu’ils ont été créés à l’image de Dieu. C’est très difficile, je le sais. Il ne s’agit pas d’amnistier les tortionnaires. Il s’agit d’autre chose. Peut-être de travailler à une utopie, à quelque chose d’impossible : comme de retrouver un frère où se dressait l’ennemi, comme d’arrêter la main de Caïn avant qu’il ne tue Abel, comme de surmonter la déchirure originelle de l’histoire de l’humanité… Quand on regarde ce qu’il se passe aujourd’hui, on peut rester sceptique. Mais on le fera, on le fera jusqu’au bout, même en sachant qu’on n’y arrivera jamais… »
    Je ne me rappelle pas quand ni où nous

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