La France et les étrangers: du milieu du XIXe siècle à nos jours
n'avait plus d'importance. D'un seul coup, comme ça !
(Elle claqua des doigts dans l'obscurité.) Je n'avais plus la moindre peur de mon père. (L'émotion lui brisa la voix.) Je veux dire... je ne l'avais plus revu depuis l'‚ge de quatorze ans, cela faisait plus de dix ans, mais j'avais constamment peur de le voir arriver et me reprendre, m'obliger à aller avec lui. C'était... c'était idiot, mais je vivais toujours avec cette peur, parce que la vie était un cauchemar pour moi, et ces choses arrivaient dans mes mauvais rêves. Mais tandis que je regardais le vaisseau, avec tous les autres, silencieux, à côté de moi, la nuit si vaste, les chasseurs dans le ciel, je compris que mon père ne me ferait plus peur si jamais il réapparaissait un jour. Car il n'est rien, rien, tout juste un minable, un malade, un minuscule grain de sable sur une plage gigantesque... ª
Oui, pensa Jorja remplie de la même joie que Sandy.
Oui, c'était cela que signifiait l'arrivée du vaisseau: être libérés de nos peurs les plus profondes et les plus paralysantes. Les occupants du vaisseau n'apporte-raient peut-être pas de réponse aux problèmes qui assaillaient l'humanité, mais leur seule présence était en soi une réponse.
La voix de plus en plus étranglée par l'émotion, entrecoupée de sanglots, non de tristesse mais de bonheur, Sandy reprit: Á voir le vaisseau, là, j'ai tout d'un coup senti que toutes les peines et les souffrances étaient derrière moi, terminées pour toujours... j'ai senti que j'étais quelqu'un. Et moi... toute ma vie, j'avais cru que je n'étais rien, moins que rien, une chose qui servait peut-être à quelque chose, je ne sais pas, mais qui n'avait pas de dignité... Et là, tout à coup, j'ai compris que nous n'étions, tous autant que nous sommes, que des grains de sable sur une plage, qu'il n'y avait pas des êtres qui étaient importants et d'autres qui ne l'étaient pas... Oh, je voudrais pouvoir exprimer tout ce que je ressens !
- Nous te comprenons, dit Faye d'une voix très douce, je sais que, nous tous, nous te comprenons.
-Mais même si nous ne sommes pas des grains de sable, nous appartenons à une race qui ira peut-être un jour là-bas, dans l'immensité de l'espace, dans cette contrée d'o˘ sont venues ces créatures. Même si nous ne sommes rien, nous avons notre place dans le monde et il y a un sens à notre vie. Un jour, nous tous-les milliards d'hommes qui vivent sur cette planète-, nous rejoindrons ceux qui nous ont rendu visite, nous n'errerons plus dans les ténèbres, et tout ce que nous avons enduré aura servi à quelque chose, à nous sortir de cette immense nuit... J'ai compris tout cela en une fraction de seconde et je me suis mise à rire et à pleurer en même temps...
- Moi aussi, je me souviens, dit Ned, je me souviens de tout. Nous étions l'un à côté de l'autre au bord de la route et tu m'as pris par la main, tu m'as attiré vers toi et tu m'as serré dans tes bras. Pour la première fois, tu m'as dit que tu m'aimais... pour la première fois, après si longtemps. ª Sa voix se brisa et chacun devina qu'il enlaçait Sandy. Íls m'ont pris tout ça, dit-il, avec leurs saloperies de drogues et de lavage de cerveau, ils m'ont volé cet instant o˘ tu m'as dit que tu m'aimais. Mais je l'ai retrouvé, Sandy, et on ne me l'enlèvera plus jamais, je te le promets. ª
D'une voix plaintive, Faye dit: ´ Je ne me souviens toujours de rien. Je voudrais tant... ª
Jorja savait que les autres devaient se faire les mêmes réflexions qu'elle-même. Le seul fait qu'il existe une forme d'intelligence différente-et supérieure-plaçait les luttes humaines dans un contexte très différent. L'éternel désir, propre à l'humanité, de domination et d'asservissement, quand ce n'était pas d'extermination pure et simple, apparaissait totalement absurde. Toutes les philosophies étroites et totalitaires ne pouvaient que s'effondrer. Les religions prêchant l'unité de la race humaine se développe-raient, mais les autres, celles qui encourageaient la haine et la conversion par la violence, celles-là disparaîtraient. C'était une chose que Jorja, comme Sandy ne pouvait exprimer, mais qu'elle ressentait au plus profond d'elle-même . elle avait conscience que ce contact extraterrestre pouvait transformer l'humanité en une nation unique, en une immense famille. Pour la première fois dans l'histoire chaque individu jouirait du respect que seule une famille unie et
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