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La gigue du pendu

La gigue du pendu

Titel: La gigue du pendu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ann Featherstone
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moi. Mes compagnons non plus n’étaient pas dans leur assiette. Et je savais bien pourquoi. Le Grand Méchant était comme une mauvaise odeur qui s’incruste dans votre nez, et dont vous ne parvenez pas à vous débarrasser, peu importe la dose d’eau de Cologne ou d’huile de macassar dont vous vous aspergez. Le sommeil se refusait à moi, chassé par l’inquiétude, alors nous nous sommes levés à l’heure du laitier pour nous rendre aux champs de Strong.
    Je sais reconnaître les assauts de la mélancolie – état dans lequel j’ai vécu pendant de nombreuses années – et je sais que si je traite le mal à la racine, je peux m’en libérer. Aussi, mes chiens et moi nous sommes partis d’un bon pas dans le petit matin frisquet, ce qui nous a fait le plus grand bien – il est agréable d’arpenter les rues très tôt, sans la presse ni le brouhaha – et j’ai commencé à me sentir plus en accord avec le monde. Nous allions vite, il le fallait, car il ne s’agissait pas d’une simple promenade. Avant de retourner à l’Aquarium, nous devions franchir un pont, assez large pour laisser se croiser deux charrettes, avec de part et d’autre des marches pour les piétons ; la rivière qu’il enjambe est si pure qu’à faible profondeur on voit les poissons. Sur chaque rive, une étendue herbue où s’ébattent des canards, avec des arbres dont les feuilles et les branches balaient la surface. De l’autre côté, à un saut de moineau, il y a les champs de Strong, et plus on avançait, plus je les voyais se rapprocher. Cela me remet toujours du cœur au ventre, quand les maisons peu à peu sont remplacées par des villas, puis des cottages, de constater que le nombre d’entrepôts diminue, alors que celui des forgerons augmente, car cela signifie que la campagne approche, avec son air pur, ses prés verdoyants. Nous pressons le pas lorsque, dans le dernier virage, nous voyons apparaître le pont. Alors, Brutus et Néron dévalent la berge et plongent dans la rivière, chassant les canards dans un joyeux clapotis. Ce ne sont pas de bons nageurs, car ils ne sont pas accoutumés à l’eau, mais ils apprécient, je crois, la fraîcheur du flot sur leur ventre et leurs pattes et, à la belle saison, ils restent sur le bord sablonneux pour boire à grandes goulées en observant les canards. Quant à moi, je suis heureux de patienter le temps qu’ils s’abreuvent, car leur plaisir me ravit, comme l’anticipation du terme de notre promenade.
    Ce jour-là, malgré le ciel gris et l’air froid, nous étions contents de retrouver le petit pont, les arbres, la rivière, et mes chiens ont profité de l’eau, même s’ils y ont juste trempé les pattes à cause de la température. Moi, je me suis assis sur les marches qui flanquent le pont pour regarder passer les charrettes. La plupart transportaient des légumes en cahotant sur les pavés, tandis que leurs conducteurs sommeillants (certains avaient roulé toute la nuit) commençaient à s’éveiller, et qu’on voyait apparaître des têtes de garçons parmi le cresson et les choux. Ils font tellement partie de la campagne qu’en aucun cas on ne peut les confondre avec des charretiers de la ville. Il ne s’agit pas seulement de leurs manières, en général plus lentes et plus amènes, non, c’est autre chose. Parfois ils transportent avec eux la campagne. L’été, par exemple, beaucoup ont un bouton-d’or coincé derrière l’oreille, une rose au chapeau, ou encore une tige de lierre attrapée au passage dans une haie. L’hiver, je remarque parfois un brin d’herbe coincé dans le harnais d’un cheval, alors je pense à la ferme d’où il vient, et à la simplicité saine de ce mode de vie. Peut-être qu’en sortant de la cour, tandis que le maître repousse la barrière ou appelle un garçon de ferme, le patient conducteur de la charrette a empoigné une touffe d’herbe pour s’emplir de sa fraîcheur, dernier contact avec son pays avant la ville. Alors, un brin ou deux sont restés pris dans le harnachement de l’animal, voyageant avec lui dans la nuit, sur les petites routes, lui rappelant tendrement qu’un foyer, une étable confortable l’accueilleront au terme de cette dure journée de labeur. Enfant, j’ai vécu un moment parmi les prés et les collines, ce fut peut-être la plus belle période de ma vie, et c’est pourquoi je trouve davantage de plaisir à contempler les champs et le ciel que les briques et les

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