La gigue du pendu
Grand Méchant a fait un pas en avant en levant sa canne. Néron, toujours courageux, s’est mis à grogner.
« Toi, l’homme aux chiens, retiens tes animaux, sinon je te leur fais rentrer leur cervelle dans le cul et t’auras plus qu’à lécher ! T’as pigé ? » Puis il a raclé le plancher du bout de sa canne en ébène, me toisant de son demi-sourire. « Où elles sont, hein ? Les photographies ? Et il y a peut-être une lettre avec ? Tu sais ce que je veux. Donne-les-moi ! »
Il a de nouveau relevé sa canne, et au même instant une porte a claqué derrière moi.
C’est plus tard seulement, en me repassant les événements, que je me suis demandé par quel hasard il se pouvait qu’à cet instant précis quelqu’un claque la porte, grimpe sur scène, salue Brutus et Néron d’un joyeux sifflement, et que cette personne soit Will Lovegrove – toujours aussi élégant avec son pardessus couleur rouille et son vieux chapeau à large bord ! Sur le moment, je ne me suis même pas étonné de le voir au Pavilion Theatre de si bonne heure. J’ai juste pensé qu’il n’avait pas dû rentrer chez lui et, à voir les cernes noirs sous ses yeux, qu’il n’avait pas dormi.
« Bob ! s’est-il écrié en posant les mains sur mes épaules. Quelle chance ! Viens donc avec moi prendre le petit déjeuner chez Garraway avec tes compagnons si vous n’avez pas encore mangé, car j’ai eu une chance du diable cette nuit et… Bonjour ! »
Qu’a-t-il pensé en découvrant cette scène peu ordinaire ? Avec le garçon accroché à la corde ? La Princesse Poucette, toute tremblante sur son massif trône doré ? Le Grand Méchant, et son sourire forcé, qui l’a poliment salué en lui tendant une main gantée ?
« Mon cher monsieur, puis-je vous serrer la main ? Je ne crois pas avoir eu ce plaisir. »
Will est resté impassible, les mains sur mes épaules.
« Nous n’avons pas été présentés, il est vrai, a fait d’un ton obséquieux le Gros Lard en reculant d’un pas. Je comprends parfaitement. Cela ne se fait pas. C’est précipitation de ma part. J’essayais seulement de rattraper par le collet mon jeune… apprenti, là-bas, qui s’enfuit sans arrêt. » Il a levé sa canne. « Quel coquin ! Il mérite une bonne correction, n’est-ce pas ? Vous et moi, monsieur ? Nous pourrions lui en flanquer une dont il se rappellera, qu’en dites-vous ? »
Le silence s’est abattu, tandis que les yeux du Grand Méchant ne cessaient d’aller de Barney à Will.
« Lui aussi est partie prenante dans cette histoire, a-t-il poursuivi en me désignant. J’espère qu’il n’est pas de vos amis, monsieur. Ce garçon lui a remis un objet volé. Devant ce théâtre. Je l’ai vu. Il devrait rendre ce qui ne lui appartient pas. »
Will a jeté un coup d’œil au mioche, toujours perché là-haut, puis s’est adressé à la Princesse.
« Alors comme ça, il s’est enfui ? Un apprenti, prétend-il. Et un voleur. Ce qui fait de lui un apprenti voleur. Qu’en pensez-vous, madame ? C’est vrai qu’il ressemble à un tire-laine. Mais si c’est le cas, j’en conclus que puisque vous êtes son maître, vous-même, monsieur, êtes un voleur chevronné. » Il s’est avancé vers le Gros Lard, dont le souffle se faisait plus court. « Qu’est-ce que tu me conseilles, Bob ? Dois-je aller chercher la police pour qu’elle arrête ce garçon pour vol et son maître pour l’y avoir incité ? Ou bien je lui mets tout de suite mon poing dans la figure pour éviter aux poulets le déplacement ? Qu’en dites-vous, monsieur ? »
Et d’un geste soudain, il a frappé le Grand Méchant, envoyant valser sa canne noire à travers la scène avec fracas. C’était étonnant de voir Will Lovegrove en colère, et vous pouvez me croire qu’il l’était ! Le visage blême, ses yeux lançant des éclairs, il semblait avoir grandi de vingt centimètres, alors que le Gros Lard en était réduit à ramper après sa canne en crachant son venin.
« Vous ne vous rendez pas compte, monsieur, vous ne savez pas à qui vous parlez !
— Ah oui ? a lancé Will en marchant sur lui. On verra ça quand moi je vous aurai administré une bonne correction, monsieur ! »
Le Grand Méchant s’est retiré en jurant comme un charretier et en l’abreuvant de menaces.
Puis nous avons entendu claquer la porte du théâtre : il était parti.
Will ne se souciait plus que de la Princesse, qui,
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