La gigue du pendu
est bon et gentil, c’est le meilleur des hommes, a-t-elle ajouté à mi-voix, mais il ne comprendrait pas. Toi, Bob, tu peux comprendre, mia cara , voilà pourquoi je te demande cette faveur », et là-dessus, elle a pris ma main, à l’instant où Herr Swann, droit comme un ressort, arrivait d’un pas peu alerte en portant le plateau de tasses cliquetantes.
Nous nous sommes quittés tard ce soir-là, car la Princesse et le géant étaient de bonne compagnie, et ont insisté pour terminer au schnaps « pour bien finir la soirée, hein ? ». Herr Swann a entonné d’autres chants allemands, qui se faisaient plus doux et plus tristes à mesure que le niveau du schnaps baissait. La Princesse a chanté dans une langue étrangère, qui seyait à son fin gazouillis d’oiseau. Même mes chiens ont fait la démonstration de leur savoir : Brutus a saisi les minuscules tasses fragiles sur le plateau, et Néron a laissé une souris blanche s’asseoir sur sa tête charbonneuse. Ce dernier tour nous a remplis de gaieté, et la petite femme a applaudi en s’écriant : « Bravo, signor Nero ! » jusqu’à ce qu’une quinte de toux la terrasse, l’obligeant à s’allonger, pantelante, sur ses oreillers.
« Je vais bien, nous a-t-elle dit en nous faisant signe de ne pas nous inquiéter, beaucoup mieux quand je vois ces magnifiques compagnons, Brutus et Néron, bien sûr », et nous avons tous ri comme si nous n’avions pas le moindre souci.
8
Visite au Pavilion Theatre – Barney – Le Grand
Méchant – Will Lovegrove, ce héros
Pousser la Princesse dans son fauteuil jusqu’au Pavilion Theatre s’est avéré pour moi une expérience nouvelle. Nous avancions en tressautant, telles une petite impératrice et sa cour, appréciant tous deux les « Bonjour, Princesse » des quelques lève-tôt. Son fauteuil était une machine étonnante et solide, aux flancs de bois, aux grandes roues, montée sur ressorts pour amortir les cahots des pavés qui auraient par trop secoué cette fragile passagère. Le siège lui-même était de cuir rouge, matelassé de coussins, et il y avait même une capote qu’on pouvait relever ou baisser selon le temps. La Princesse Poucette ainsi juchée sur son trône, bien calée avec de petits tapis, resplendissante avec son bonnet et son manchon blancs, adressait des saluts, des sourires, et chantonnait un joyeux petit air dans sa propre langue, qui parlait de « la belle Santa Catharina, heureuse d’aller à la mort sur la roue ». Bien sûr, si Mr Abrahams avait eu vent de notre excursion, il aurait éprouvé des sentiments mêlés. Car s’il n’était pas du genre à refuser à la Princesse de prendre l’air, l’homme de spectacle en lui aurait peut-être moins apprécié que sa star s’exhibe gratuitement aux yeux de tous, sans qu’il en retire un quelconque profit.
Mais il n’avait pas à s’inquiéter, car très peu de gens étaient sortis dans l’éclat du matin et, en nous faufilant par les petites rues, nous sommes arrivés au Pavilion de très bonne heure, longtemps avant que les comédiens (sans parler des spectateurs !) songent à se lever, même si Mint, le gardien, était déjà debout, à farfouiller dans son placard – à l’écouter, il était là depuis des heures. Dans le nuage de fumée dégagé par sa pipe, cet homme inestimable nous a lu, sans qu’on lui ait rien demandé, la liste des répétitions du jour, qui incluait aussi bien le ballet des enfants que notre prestation, à moi et mes chiens (« vers l’heure du thé, je dirais, Mr Chapman »), sans oublier M. Gouffe, l’homme-singe, que personne n’avait encore vu, car il ne parvenait pas à quitter South Islington.
Nous avons réussi à nous en débarrasser lorsque la Princesse lui a offert des entrées gratuites pour l’Aquarium, à lui et ses quatre enfants, et nous nous sommes rendus sur la scène. La Princesse était ravie de tout ce qu’elle voyait et considérait avec beaucoup d’intérêt tout ce qui touchait aux différents effets, qui paraissent si minables dans la lumière, mais sont très efficaces depuis la salle. Je pense au trône de bois et de plâtre, qui paraît sculpté dans la pierre, et au tas de rochers, qui ont l’air si lourds et accidentés, mais que les employés transportent d’une seule main. Je l’ai donc promenée sur la scène, et elle se penchait pour toucher les rideaux et les décors peints sur de la toile, comme cette vue nocturne de
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