La Gloire Et Les Périls
quand il débarquerait de
sa chaloupe.
— Monseigneur, dit Nicolas, peux-je quérir de vous si
vous n’allez emmener que moi pour recevoir le Lord anglais ?
— Assurément.
— C’est que, Monseigneur, avec tout mon respect, cela
ne convient pas du tout. Le Lord anglais peut s’offenser de ce que vous soyez
si pauvrement accompagné pour recevoir l’envoyé du roi d’Angleterre. Et de
votre côté, vous ne rendez pas justice à votre rang en n’ayant que moi pour
escorte.
— Devrais-je donc à ton goût m’encombrer de tous mes
Suisses ?
— Nenni, Monseigneur, il suffirait, à ce que je crois,
du capitaine Hörner, et de quatre de ses plus beaux Suisses, tous cinq
attifurés de leur plus belle vêture. Ainsi vous honorerez non seulement le Lord
anglais, mais vous-même et le roi, en mettant dans cet accueil apparat et
cérémonie.
— Nicolas, tu me laisses béant. D’où te vient cette
science ?
— De mon aîné, Monseigneur. Un capitaine des
mousquetaires du roi doit connaître à fond l’étiquette, s’il ne veut pas
commettre d’erreur qui ferait rire de lui, ou pis encore.
À la réflexion je donnai raison au béjaune, et d’autant que
Richelieu m’avait recommandé d’accueillir Lord Montagu avec tous les égards que
les circonstances commandaient. Je dépêchai donc mon écuyer, fou de joie et
d’importance, donner à Hörner les ordres qu’il avait lui-même conçus.
L’huis reclos sur lui, je m’avisai que c’était la deuxième
fois, en ce premier jour de mon avancement, que je recevais une leçon
d’étiquette venant de personnes qui étaient si éloignées de moi par le rang
qu’elles n’eussent pas dû prendre la chose tant à cœur. Cela me donna à penser
que les serviteurs, dès lors qu’ils jouent un rôle, fût-il modeste, dans
« les apparats et les cérémonies », en tirent presque autant de gloire
que leur maître. L’air piaffant et heureux que je lus le lendemain matin sur
les faces de Hörner et des quatre Suisses géantins qu’il avait choisis comme
escorte me conforta dans cette idée. Il fallait voir comment chacun carrait les
épaules dans son meilleur pourpoint, les bottes luisant comme miroir et les
fourreaux d’épée étincelant au soleil de ce clair matin. L’honneur et la gloire
en cet accueil de l’ambassadeur anglais à Chef de Baie n’étaient point que pour
Montagu et moi. Mon escorte y avait sa part. Je ne suis même pas assuré que nos
chevaux ne le ressentissent pas aussi, tant ils avaient été bichonnés pour la
circonstance, le poil luisant à force de brosse, sans oublier la crinière et la
queue tressées en nattes. À celles-ci ne manquait que le ruban.
Quoi qu’il en fut, les chevaux et les hommes qui les
montaient se rangèrent en ordre triangulaire devant le petit débarcadère où My
Lord Montagu, transporté par la chaloupe de notre navire amiral, devait mettre
le pied. Moi-même, seul en avant du groupe. Derrière moi, sur un même plan,
Hörner et Nicolas. Et derrière eux, les quatre Suisses si colossalement
immobiles qu’à eux seuls ils avaient l’air d’être une armée.
Comme nous attendions ainsi en un ordre parfait, un exempt
monté survint, tenant par la bride un second cheval, lequel, m’expliqua-t-il
après un grand salut, était mis à la disposition de My Lord Montagu par le
maréchal de Bassompierre. Il n’arriva pas une seconde trop tôt, car déjà de la
chaloupe débarquait My Lord Montagu. Je le reconnus fort bien à son coloris qui
n’était pas habituel chez un Anglais, car il était fort brun de cheveu, de
prunelles, de moustache et de peau, tant est que My Lady Markby l’appelait, non
sans tendresse, Il mio bello Italiano [75] .
Je démontai et m’avançai vivement vers lui, mais j’eus à
peine le temps de le saluer, car déjà il me donnait une brassée à l’étouffade
et me noyait d’une façon, en effet, bien peu anglaise, sous un flot exubérant
de paroles aussi affectionnées que louangeuses.
De cette encontre et du séjour de Lord Montagu parmi nous,
ne sont demeurés en ma remembrance que deux épisodes, il est vrai l’un et
l’autre d’un intérêt importantissime, comme eût dit Richelieu : la visite
de la digue et l’entretien de notre visiteur avec le roi.
Toute l’Europe parlait alors de la digue de La Rochelle. Et
quoiqu’on n’eût pas manqué de la montrer à tous les ambassadeurs étrangers qui
étaient venus au camp présenter leurs respects à
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