La Gloire Et Les Périls
avez
acceptée.
Acceptée ? m’apensais-je. Je n’avais rien fait de tel,
mais je ne dis ni mot ni miette, sachant bien que c’était là un genre de petite
gausserie que Richelieu faisait à ceux qu’il aimait.
— Monseigneur, dit Charpentier quand je l’eus rejoint
dans le cabinet attenant, Lord Montagu quittera en chaloupe le vaisseau de Lord
Lindsey demain à dix heures. Il gagnera aussitôt le bateau amiral de la flotte
française. Il sera reçu à la coupée par le commandeur de Valençay qui le
débarquera à Chef de Baie à dix heures et demie, heure à laquelle Monsieur le
cardinal désire que vous l’accueilliez sur le sol français. Son Éminence compte
que vous lui ferez visiter la digue, la fameuse et formidable digue, cette
visite, bien entendu, étant un atout maître dans la négociation. Après quoi Son
Éminence pense que vous l’emmènerez dîner à Brézolles. Dans l’après-midi vous
l’inviterez à assister à une grande parade militaire commandée par le roi, au
cours de laquelle défileront, dans un ordre à coup sûr parfait, cinq mille
fantassins et cavaliers. Le défilé fini, vous lui ferez visiter deux ou trois
forts, qui vous seront désignés par le maréchal de Bassompierre et qui sont des
mieux garnis en soldats. Cette visite fort instructive terminée, vous le
ramènerez à Brézolles où Son Éminence pense que vous voudrez bien lui donner
bonne chère et bon logis. Le lendemain, à dix heures de la matinée, vous le
conduirez chez Louis, et là, Lord Montagu ne sachant pas le français, Monsieur
le cardinal désire que vous lui serviez de truchement dans son entretien avec
Sa Majesté. Là, Monseigneur, s’arrête votre mission.
Charpentier, après ce petit discours, me tendit un carton
qui le résumait et, comme il paraissait hésiter, je lui demandai s’il avait
encore quelque chose à ajouter.
— En effet, Monseigneur, mais comme il s’agit d’un
petit point d’étiquette, je ne sais si je serai assez audacieux pour le
préciser. Vous pourriez le mal prendre.
— Je le prendai fort bien au rebours, dis-je, sachant
si peu où j’en suis présentement.
— Monseigneur, vous avez sans doute observé que dans le
cabinet de Son Éminence il y a trois sièges bien différents destinés aux
visiteurs : une chaire à bras, une chaire à dos et un tabouret. Or, j’ai
observé qu’à votre entrance, Son Éminence vous ayant prié de prendre place,
vous vous êtes assis sur le tabouret.
— Et il ne fallait pas ?
— Non, Monseigneur, avec tous mes respects, il ne fallait
pas. Chez Son Éminence, étant duc et pair, vous avez droit, comme les maréchaux
de France, à la chaire à bras…
— La grand merci à vous, Monsieur Charpentier, dis-je
avec chaleur, étant à la fois égayé et touché qu’il ait pris la peine de
m’instruire de mes nouveaux privilèges.
Cependant, remonté à cheval, je me mis tout soudain à rire à
gueule bec à la pensée qu’un derrière de duc avait droit à plus d’égards que
celui d’un comte. « Vanité des vanités », dit si bien L’Ecclésiaste.
*
* *
Mon premier soin, de retour au logis, fut d’écrire à mon
père, à mes frères, à ma mère [74] , à Madame de Brézolles. C’est cette
dernière missive – la dernière, mais non la moindre – qui me donna le
plus de peine, car pour les raisons que l’on sait je voulais qu’elle fut
d’« une modestie exemplaire », le difficile étant justement le dosage
de cette modestie, afin qu’elle ne sentit ni l’outrance ni l’artifice. Je
déchirai deux ou trois brouillons, car à mon oreille ils sonnaient faux. Tant
est qu’en fin de compte j’écrivis à ma belle une lettre du bon du cœur, lui
confiant que j’étais très heureux que le roi eût érigé mon comté en
duché-pairie, mais que j’allais faire de grands efforts pour ne pas devenir
piaffant, hautain et vaniteux, afin de ne point me rendre odieux à mon
entourage, à mes amis, à ma parentèle, et par-dessus tout à ceux que je
chérissais le plus en ce monde : mon fils et celle qui me l’avait donné.
Tandis qu’à la nuitée Nicolas m’aidait à me déshabiller, je
lui dis quelle serait, le lendemain, ma mission et qu’il eût à prévenir dès ce
soir Hörner pour que nos deux chevaux soient étrillés, brossés et harnachés sur
le coup de neuf heures et demie, car il nous faudrait bien une heure pour
atteindre Chef de Baie et y accueillir My Lord Montagu
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