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La Gloire Et Les Périls

La Gloire Et Les Périls

Titel: La Gloire Et Les Périls Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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avoir
jamais le courage ou même l’envie de m’en défaire un jour. Et pourtant, le
premier devoir d’un gentilhomme est bien d’assurer sa lignée. Comment diantre
en disconvenir ? Mais d’un autre côté, comment ne point reculer devant le
choix le plus hasardeux qu’il soit donné à un homme de faire ? Ah !
Certes ! Si le Seigneur, dans sa bienveillance – laquelle je ne
mérite peut-être pas –, me donnait un fils comme Nicolas, ne serais-je pas
le plus heureux des hommes ! Mais si ce fils, m’avisai-je aussitôt, était
le contraire de Nicolas ? S’il était, par malheur, plus chattemite que
matou, plus étourdi que linotte, plus indocile que mule, plus couard que
lièvre, plus pernicieux qu’une pochée de souris ? S’il n’avait, pour le
dire en bref, aucune des vertus qui brillent en Nicolas, s’il n’avait ni sa
beauté, ni son esprit, ni son amour du prochain, ni sa vaillance, ni son
émerveillable tact ? Et si je m’étais de prime trompé dans le choix de sa
mère ? Si cette pimpésouée avait adroitement réussi à pimplocher ses
défauts sous de fausses couleurs et m’avait fait croire à des perfections qui
n’étaient que grimaces ? Tant est que je retrouverai à la parfin, en ce
fils, tout ce que j’avais été amené à dépriser et à détester chez cette
façonnière. Que cruel et longuissime serait alors ce double boulet que j’aurais
à traîner jusqu’à la fin de mes terrestres jours !
    Ma jument qui, insensible à mes pensées, avait senti, bien
qu’elle fut encore lointaine, la bonne odeur de son écurie, se mit tout soudain
à trotter bon train, ce qui, me forçant à reprendre les rênes en mains, me
retira de mes songes, mais non de l’abîme d’irrésolution où j’étais plongé.
Sanguienne ! m’apensai-je, que de choses on jette au hasard quand on vole,
toutes plumes dehors, dans les filets de la matrimonie ! Et on n’y peut
voler, hélas, qu’à l’aveuglette, puisqu’on ne peut juger de l’objet aimé sans
avoir pris habitude à lui dans le commerce du quotidien.

 
CHAPITRE II
    Ce qui précède n’est pas à dire que le rideau de mon récit
va retomber, ne fut-ce qu’un instant, sur des pensées mélancoliques. De retour
à Brézolles, le soleil déjà plus qu’à demi disparu derrière le bord occidental
de l’océan, nous franchîmes, entre chien et loup, les grilles bleues du château
et notre premier soin fut d’aller droit aux écuries et de confier à mes Suisses
nos pauvres juments qui avaient tant souffert de la pluie et de la bise afin
qu’elles fussent séchées, bichonnées, nourries et douillettement recouvertes
d’une épaisse couverture de bure pour passer la nuit, laquelle en ces régions
est déjà froidureuse.
    Au sortir des écuries, nous encontrâmes Monsieur de
Vignevieille branlant, soufflant et claudiquant, lequel tenait d’une main une
canne pour soutenir ses pas et de l’autre une sorte d’ombrelle pour se protéger
de la pluie, tant est qu’on pouvait se demander avec quelle main, en cas de
besoin, il pourrait tirer son épée. Il me dit que Madame de Brézolles
m’attendait pour souper dans une demi-heure, et que pour lui, il aurait
l’honneur de partager son repas avec Monsieur de Clérac. Mon pauvre Nicolas lui
fit mille mercis, tout désolé qu’il fut, une fois de plus, de ne pouvoir
assister au souper de la marquise et, à la dérobade, de la boire des yeux.
    Ce qui se dit et se fit ce soir-là au bec à bec entre Madame
de Brézolles et moi fut si étonnant que j’éprouve une sorte de vergogne à le
conter, tant je redoute, lecteur, que tu révoques en doute ma fidélité aux
faits. Et cependant, là comme ailleurs, elle est adamantine, et je le jurerais
volontiers sur ma foi, si le cardinal ne m’avait recommandé de ne jamais mêler
le sacré aux affaires humaines.
    De peur qu’on trouve cet entretien non seulement incrédible,
mais aussi quelque peu disconvenable, je pourrais certes prendre le parti de
n’en rien déclore. Mais encore une fois, ce qui se dit et se fit en cette nuit
fut de si grande conséquence dans le déroulement subséquent de ma vie qu’il
serait contraire à toute logique, comme à toute franchise, de passer
l’événement sous silence.
    Monsieur de Vignevieille, si bien vous vous ramentevez,
m’ayant dit que Madame de Brézolles m’attendait dans une demi-heure, je gagnai
ma chambre et fus surpris d’y trouver un valet fort propre [9] et fort poli qui

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