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La Gloire Et Les Périls

La Gloire Et Les Périls

Titel: La Gloire Et Les Périls Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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et
du couvert pour deux personnes.
    Mais à la vérité, c’est mal dire les choses que de les dire
ainsi, car, à mon avantage et il n’était pas petit, il fallait inscrire
l’émerveillable bienfait d’une douce présence féminine, après tous ces mois
d’aridité et d’horreur dans la citadelle de Saint-Martin-de-Ré.
    Comme mon hôtesse restait aussi coite qu’un ange de marbre,
je pris peine pour donner voix à ce muet commerce, fournissant quelques petites
pailles de peu de conséquence pour que le feu pût prendre, mais Madame de
Brézolles ne répondant ni mot ni miette, sans toutefois discontinuer de
m’envisager de la façon la plus gracieuse, à la parfin je me tus aussi. Et nous
finîmes ce délicieux repas comme il avait commencé, j’entends par un échange
quasi continu de regards qu’aucune parole n’accompagnait.
    L’œil étant plus friand que la bouche, nous mangeâmes fort
peu et la repue prestement expédiée, nous passâmes au petit salon où nous
attendaient nos tisanes, Madame de Brézolles donnant l’ordre au valet qui nous
servait de lui apporter un petit coffret d’argent qui se trouvait dans sa
chambre sur sa table de chevet. Toutefois, quand le valet revint et remit le
coffret à sa maîtresse, elle le posa négligemment à côté d’elle sur le siège de
sa chaire à bras et, ayant dit un merci poli au valet, lui donna son congé.
C’est alors qu’elle prit la parole, non sans m’avoir au préalable très
particulièrement envisagé, tout en buvant sa tisane, tant est que ses yeux
mordorés, où la lumière des bougies allumait des reflets changeants,
apparaissaient juste au-dessus de la tasse d’un bleu tendre qu’elle appuyait
contre sa lèvre.
    — Monsieur, dit-elle enfin en reposant sa tasse, si je
ne me trompe pas, il semblerait, à vos regards, que vous me trouvez belle…
    — Madame, dis-je avec un sourire (car il me paraissait
que les choses commençaient bien), si mes yeux me trahissent, du moins ne
trahissent-ils pas la vérité. Il est constant que j’ai, me faisant face, la bellissima
donna de la creazione [10] .
    —  Est-ce tout, Monsieur ? dit Madame de
Brézolles en levant le sourcil d’un air mutin. Ne suis-je pour vous qu’un
tableau qu’on admire ? Autant alors demeurer béant devant celui de mon
arrière-grand-mère que vous avez pu voir dans mon escalier, laquelle était, en
sa jeunesse, d’une beauté parfaite.
    — Madame, il y a une grande différence. Votre si belle
aïeule, hélas, n’est plus que toile et couleurs, et vous êtes vivante. Et le
vivant, Madame, quand il est pareil à vous, produit sur moi des émeuvements qui
vont bien au-delà du sentiment de l’art.
    — Voilà qui n’est pas clair ! De grâce, Comte,
expliquez-vous ! Parlez à la franche marguerite ! Cet amphigouri
veut-il dire que vous avez appétit à moi ?
    — C’est en effet, Madame, ce que j’aurais dit, si vous
m’y aviez autorisé.
    — Mais il n’est plus nécessaire, dit-elle avec un petit
rire, que je vous le permette, puisque vous l’avez dit.
    — Il est vrai, aussi, que je ne l’aurais pas dit si
vous ne m’y aviez pas encouragé.
    — Mais, Monsieur, pouvais-je, sans manquer à la
charité, vous laisser vous débattre, seul et sans aide, dans les affres de la
confession ?
    — Madame, croyez bien que je vous serai reconnaissant
jusqu’à mon dernier souffle de m’avoir aidé à me déclarer.
    — C’est donc une déclaration ?
    — Et quoi d’autre, Madame ?
    — Eh bien, dit-elle après un instant de réflexion,
qu’allons-nous en faire ?
    — C’est vrai : qu’allons-nous faire ?
    — Monsieur, j’ai dit : « Qu’allons-nous en faire ? » Ne supprimez pas cet «  en » : c’est
ma dernière défense.
    — Ma fé ! Madame, comme il est peu prudent de
m’avouer cela ! Je ne vous aurais pas confié le commandement de la
citadelle de Saint-Martin !
    — C’est que je ne suis pas une citadelle, Monsieur,
mais une faible femme dont cet « en » est la dernière redoute.
    — Et comment emporter la dernière redoute ?
    — Monsieur, vous m’avez fait une déclaration. C’est à
moi d’en délibérer. Vais-je vous être cruelle, ou me plier à vos volontés ?
    — Et pourquoi non, Madame, si les vôtres sont
semblables aux miennes ?
    — C’est là justement le point : sont-elles
semblables ? Toutefois, Monsieur, je sens que s’agite en moi un méchant
petit traître qui ne

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