La Gloire Et Les Périls
avait rangé mes vêtures, ciré ma seconde paire de bottes et
refait mon lit. Il me dit qu’il se nommait Luc, et que Madame de Brézolles
l’avait d’ores en avant attaché à mon service.
Cela ne laissa pas de m’étonner, car dans les grandes
maisons qui, comme Brézolles, peuvent se paonner d’un nombreux domestique, ce
sont aux chambrières et non aux valets que l’on confie ces tâches. J’en conclus
qu’après les confidences que Madame de Brézolles m’avait arrachées touchant les
petites personnes qui se trouvaient dans ma vie, elle avait désiré que je
fusse, du moins en sa demeure, à l’abri des tentations… Vraie ou fausse, cette
supposition ne laissa pas de m’ébaudir et je m’en fis en mon for quelque petite
gausserie qu’il n’est pas utile de répéter ici.
Bien qu’il soit malcommode de se laver dans une cuvette
emplie, vidée, remplie derechef par un valet, je fis de mon mieux pour
m’approprier après cette longue chevauchée, regrettant ce faisant, et les
baquets de mon enfance, et les cuves à baigner des étuves parisiennes, lieux
charmants et délassants, mais qui, à vrai dire, tenaient quelque peu du
bordeau, les serveuses étant de jeunes, rieuses et accortes garces qui ne
lavaient pas que le dos. Raison pour laquelle notre Sainte Église a succédé à
fermer lesdites étuves, la vertu des Français y gagnant peut-être, mais leur
propreté y perdant prou.
Il me parut qu’on avait fait plus de frais pour ce souper-là
que celui de la veille. Car la table y était superbement ornée d’une nappe
damassée sur laquelle brillaient une vaisselle de vermeille et des verres de
cristal. Et enfin, séparant Madame de Brézolles et moi comme une frontière,
mais une frontière très facile à franchir, s’étendait sur la nappe une petite
rangée de fleurs pourpres et odorantes couchées dans un léger feuillage.
J’eusse voulu demeurer debout pour accueillir Madame de
Brézolles à son entrant, mais Monsieur de Vignevieille, tout branlant et chenu
qu’il fût, mit tant de force à me demander de m’asseoir, qu’à la parfin j’y
consentis. Sans doute pensait-il que ma solitude serait longue, sa maîtresse
étant à sa toilette. Et pourtant longue, elle ne le fut pas, ou plutôt elle ne
le fut ni trop ni pas assez, Madame de Brézolles pesant tout, je le savais
déjà, dans de fines balances, tant est qu’elle me fit attendre assez longtemps
pour que son retardement fut un peu taquinant, mais pas assez pour qu’il devînt
discourtois.
Elle apparut enfin, atiffurée d’un vertugadin et d’un corps
de cotte bleu pâle, semé de fleurs brodées, et non de cette profusion de perles
par laquelle nos dames de Cour se flattent d’ajouter à leur beauté. L’ensemble
était fort élégant, mais avec une retenue du meilleur goût, qui se voyait aussi
dans un pimplochement discret, bien différent de celui de nos pimpésouées qui
se badigeonnent de rouge, de céruse et de peautre de façon si outrée qu’on
aurait dit que Dieu leur ayant donné un visage, elles aspirent à s’en façonner
un autre. Mais revenons à Madame de Brézolles. Sobre en bijoux comme en
pimplochement, elle ne portait qu’un seul collier d’or finement ouvragé qui
mettait en valeur son cou blanc, délicat et délicieusement rondi. À l’annulaire
de sa main gauche, une seule bague, laquelle était si belle qu’elle ne pouvait
souffrir aucune autre sœur à aucun autre doigt. Et enfin, Madame de Brézolles
avait cette qualité qui, chez une femme, me charme toujours : une voix basse,
douce et musicale.
Je me levai, et commença alors cet échange de salutations et
de révérences qui sont imposées par la tyrannie de nos coutumes. Mais, Dieu
merci, Madame de Brézolles y mit fin sans tant languir, en me présentant ses
doigts sur le bout desquels je déposai le semblant d’un baiser. En bref, nous
fumes tous deux, en cette deuxième encontre, si chattemitement réservés que
vous eussiez cru voir en nous ces personnages de L’Astrée dont la
violente amour demeure jusqu’à la mort chaste et pure à pleurer.
La chère fut aussi exquise que la veille, mais le bec à bec,
point du tout animé, Madame de Brézolles demeurant close et coite, ses beaux
yeux mordorés fixés songeusement sur moi, ce qui me donna à penser qu’elle
méditait un bargoin aussi avantageux pour elle que celui qu’elle avait conclu
avec moi la veille, acquérant une garde de onze Suisses en échange du vivre
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