La Gloire Et Les Périls
carrée. Mais pourvu qu’on ne le prît pas à
rebrousse-poil ou heurtât sa fierté, qui était prompte à prendre des ombrages
et à jeter feu et flammes, on découvrait un homme franc, généreux et fidèle en
ses amitiés.
Toiras me fit un accueil des plus chaleureux, nous invita
incontinent à partager sa repue de midi arrosée de bon vin, me demanda si
j’étais bien logé, et sans attendre ma réponse (ce qui m’arrangeait fort), il
commença à parler de soi, me faisant des plaintes véhémentes sur la façon
« indigne », « ingrate » pour ne pas dire
« infâme » dont on l’avait traité après les éclatants services qu’il
avait rendus au royaume en lui conservant l’île de Ré.
— Assurément, dit-il, Louis à Aytré m’a fait de grands
compliments sur mon héroïque défense de l’île, ajoutant qu’il m’en ferait
connaître, sous peu, « de bons effets ». Mais, mille dioux, où
sont-ils, ce jour d’hui, ces effets ? Le monde entier s’attendait à ce que
je fusse incontinent haussé à la dignité de maréchal de France ! Et que
suis-je meshui ? Maître de camp, j’étais en la citadelle de
Saint-Martin-de-Ré. Et maître de camp, je suis meshui des troupes de
Coureille ! Et sous les ordres de l’arrogant Bassompierre ! Pour
comble d’indignité, le roi projette de partager mes fonctions de maître de camp
avec Du Hallier ! Vous m’avez ouï ! Du Hallier ! Le plus grand
sottard de la création dont l’unique exploit fut de loger, à bout portant, une
balle dans la tête de Concini, lequel n’était même pas armé…
— Cependant, dis-je, vous ferez bon ménage avec Du
Hallier. C’est un si bon garçon !
— Il ferait beau voir, s’écria Toiras, qu’il ne fît pas
le bon garçon avec moi, étant ce qu’il est, et moi ce que je suis…
Ce propos me laissa béant, tant il ressemblait peu au vif,
mais courtois Toiras que j’avais connu dans la citadelle de Saint-Martin-de-Ré.
Il avait fallu que sa gloire subite lui eût dérangé grandement les mérangeoises
pour qu’il devînt à ce point outrecuide et piaffard.
— Et savez-vous le pis ? reprit-il. Il est de mode
meshui de m’humilier, de me rabaisser, sinon même de nier tout à trac mon
exploit !
— Dois-je en croire mes oreilles ? dis-je.
— Croyez-les ! Hier, je suis allé visiter Marillac.
— Le maître de camp ou le garde des sceaux ?
— Le garde des sceaux. Je voulais lui demander quelques
faveurs pour les capitaines qui avaient combattu si vaillamment avec moi dans
la citadelle. Il me les refusa tout à trac. « Ce serait des passe-droits »,
dit-il, et sur quel ton ! Mais vous connaissez ces dévots, toujours drapés
dans la morale ! J’insiste, je m’échauffe, et voilà ce faquin qui me
rebuffe avec la dernière aigreur : « Monsieur de Toiras, dit-il, la
Cour commence à trouver que vous vous paonnez un peu trop de vos exploits. Car,
après tout, ce que vous avez fait à l’île de Ré, cinq cents gentilshommes
l’auraient fait, s’ils avaient été à votre place. » Morbleu ! Si le
faquin n’avait été de robe, je lui eusse incontinent passé l’épée à travers le
corps !
À quoi je pris le parti de rire :
— Laissons là l’épée, Monsieur de Toiras. Et dites-moi
ce que vous avez rétorqué à cette perfidie.
— Comte, vous me connaissez ! Je tirai tout droit
de l’épaule : « Monsieur, dis-je, la France serait bien malheureuse
s’il n’y avait pas plus de deux mille hommes qui eussent pu faire aussi bien
que moi. Mais s’ils en sont capables, ils ne l’ont pas fait !… »
— Bravo ! Monsieur de Toiras !
Bravissimo ! Le bon sens même !
— Attendez, Comte ! Il y a mieux ! Ayant mis
à terre le malotru, je l’ai achevé !…
— Quoi ? Une deuxième rebuffade ! N’était-ce
pas un peu trop ?
— Un peu trop ? Oyez ! « Monsieur, lui
dis-je tout à trac, il y a aussi en ce royaume mille hommes pour tenir les
sceaux aussi bien que vous… »
À cet instant, on toqua à l’huis. Sur
l’« entrez ! » tonitruant de Toiras, un capitaine apparut, salua
et dit au maître de camp que le maréchal de Bassompierre le voulait voir
incontinent.
Toiras prit alors congé de nous à la diable et départit à
brides avalées, ce qui paraissait montrer que s’il lui arrivait d’être insolent
avec un ministre, il respectait les ordres d’un chef.
Pour moi, je ne laissai pas d’être content de
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