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La Gloire Et Les Périls

La Gloire Et Les Périls

Titel: La Gloire Et Les Périls Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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Le
cheval de Nicolas m’emboîta le pas et les gendarmes et la foule suivirent.
    Je ne laissai pas, pendant ce cheminement, de regarder
autour de moi avec la plus grande attention.
    La ville, que je voyais pour la première fois, me parut fort
belle et richement construite. Elle portait néanmoins la trace des boulets rouges
dont nous l’avions cruellement bombardée depuis le début du siège, car je vis
plus d’une maison dont le toit s’était effondré et d’autres où le feu,
communiqué aux meubles par les boulets, avait tout ravagé. Quant aux Rochelais
qui m’entouraient, ce que je vis confirma ce qu’avait dit Pottieux au
cardinal : les effets de la famine se voyaient surtout sur les faces des
plus pauvres et même sur celles-là, la résolution et l’énergie ne manquaient
pas.
    Parvenu devant une fort belle demeure [39] , le secrétaire du corps de
ville s’arrêta et, se tournant vers moi, me dit que nous étions rendus. Je
démontai alors et je dis d’une voix assez forte pour être entendue de ceux qui
m’entouraient :
    — Monsieur, il serait messéant que je me présente à une
aussi haute dame avec une arme à mes côtés. Auriez-vous la bonté de garder mon
épée et celle de mon écuyer par-devers vous pendant la durée de ma
visite ?
    Pour parler à la franche marguerite, ce fut bien moins par
bienséance que pour rassurer les Rochelais que je me défaisais ainsi de mes
armes car ils étaient si affectionnés à leur duchesse que, contre tout bon
sens, ils se seraient inquiétés pour elle, si je ne m’étais pas désarmé.
    Quant à la raison de cette grande amour qu’ils lui portaient,
je la connaissais. Ils lui savaient un gré infini d’être demeurée à La Rochelle
et de partager avec eux les privations et les périls au lieu que de chercher
refuge en quelque château du Languedoc où elle eût pu vivre dans le repos et la
tranquillité que commandait son âge. Le majordome parut enfin, descendant les
marches qui menaient à nous avec une lenteur majestueuse. Il me parut à la fois
fort maigre et fort taciturne, sans que je puisse acertainer si sa maigreur
était due à la faim, ni son silence à l’antipathie bien naturelle de l’assiégé
pour l’assiégeant. Il est vrai qu’il savait déjà nos noms et nos qualités et
qu’il n’avait en somme rien d’autre à faire que les répéter d’une voix forte et
distincte une fois que nous fûmes introduits dans la grande salle de l’hôtel de
Rohan et mis en présence de la duchesse, laquelle était assise fort droite,
dans une grande chaire à bras, si dorée et si travaillée qu’elle me fit l’effet
d’être un trône. À dextre et à senestre de la duchesse, assises sur des tabourets,
deux personnes du gentil sesso dont l’une devait avoir la quarantaine,
tandis que l’autre en face de qui le siège de Nicolas se trouvait
miraculeusement placé, était fort belle et en la fleur de son âge. Nous
n’omîmes aucune des salutations respectueuses que nous devions à ces hautes
dames, mais en y ajoutant cette nuance de tendresse que nous éprouvions à
l’égard de leur tendre sexe, nuance qui, à mon sentiment, ne fut perdue pour
aucune des trois.
    La duchesse répondit d’un signe de tête des plus gracieux à
mon salut mais sans toutefois me tendre la main à baiser, réticence qui
laissait entendre que, malgré tout, j’appartenais au camp des ennemis de sa
ville et de sa religion.
    Bien qu’elle eût alors à tout le moins soixante-dix ans,
l’âge, s’il avait neigé sur ses cheveux, amolli son cou et ses joues, lui avait
laissé un visage fort agréable à voir et de très beaux yeux bleus desquels
émanait une impression tout à la fois de force et de douceur.
    On disait à Paris de la duchesse de Rohan qu’elle avait été
fort fidèle à son mari du vivant de celui-ci et, après sa mort, fort infidèle à
sa mémoire. Mais c’était là pure médisance, si toutefois une médisance peut
être pure. La dame était trop haute, trop bonne protestante et trop ménagère de
sa gloire pour s’abaisser à des intrigues. La seule explication que les
honnêtes gens purent trouver à ce méchant caquetage était que Madame de Rohan
aimait les hommes et en son innocence, qui était grande, le laissait paraître,
ce que n’eussent assurément jamais fait nos coquettes de Cour.
    — Comte, dit-elle d’une voix basse et musicale, j’eusse
aimé vous souhaiter la bienvenue céans en un moins triste

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