La Gloire Et Les Périls
prédicament. Mais le
Seigneur, hélas, l’a voulu ainsi pour nous punir de nos péchés et nul ne peut
savoir ce qu’il décide à la parfin de son peuple : s’il doit périr ou s’il
doit être sauvé. Voici, enchaîna-t-elle sans transition, assise à ma droite, ma
fille Anne et, à ma gauche, ma parente, Mademoiselle de Foliange qui eut
l’infortune de me venir visiter céans alors que la guerre n’était point
commencée, et se trouva, pour son plus grand malheur, enfermée dans nos murs,
et fort injustement, car n’étant pas de la religion réformée, elle ne trouve
même pas les consolations de la foi dans les épreuves qu’elle traverse avec nous.
Je me permis alors, comme j’avais fait pour Anne de Rohan,
de saluer Mademoiselle de Foliange et de l’envisager quelques secondes sans que
cela, de reste, la gênât en aucune façon car, dès le moment de notre entrant,
ses yeux s’étaient attachés sur Nicolas avec tant de force que tout autre objet
dans la salle, y compris sa parente, Anne ou moi-même, avait disparu du champ
de sa conscience. Quant à mon Nicolas, il était tout autant passionnément
regardant que regardé et déjà à ce point captif que je l’eusse fort étonné en
lui ramentevant qu’il se trouvait dans l’hôtel de Rohan et en présence de cette
haute dame, laquelle était de reste beaucoup trop naïve pour s’apercevoir de ce
qui se passait entre ces deux-là, à moins d’une toise d’elle.
— Comte, dit Madame de Rohan, sans tant languir,
venons-en à l’objet de votre visite. Louis va-t-il répondre favorablement à la
requête que je lui ai adressée de laisser sortir de La Rochelle les femmes et
les enfants ?
— Madame, dis-je, le roi, étant bon chrétien, s’est
trouvé fort déquiété par votre requête et s’est demandé, non sans une profonde
anxiété, comment il devait y répondre. D’une part, en effet, les femmes et les
enfants ne portant pas les armes, on peut se demander s’il est juste et humain
qu’ils supportent les peines et les périls d’un siège qui, en toute apparence,
sera long et meurtrier. Mais, d’autre part, l’initiative de cette guerre a été
prise par les Rochelais quand ils ont aidé les Anglais à se maintenir dans
l’île de Ré et ont formé avec eux une alliance qui avait pour dessein déclaré
de soustraire La Rochelle et l’Aunis à la souveraineté du roi de France. Louis,
pour cette raison, peux-je vous le ramentevoir, les a le quinze août 1627
« déclarés rebelles, traîtres et perfides à leur roi, déserteurs à leur
patrie et criminels de lèse-majesté au premier chef ». Néanmoins, il ne
les a pas tout de gob attaqués. Pouvez-vous ignorer, Madame, que ce sont les
Rochelais qui, peu ménagers alors de la vie de leurs femmes et de leurs
enfants, les ont exposés à un siège terrible en tirant le premier coup de canon
contre les forces du roi ? Dois-je vous ramentevoir, Madame, pour finir,
que, dans la Bible, les petits-fils et même les arrière-petits-fils sont
châtiés pour des crimes commis par leurs ancêtres ?
— Monsieur, dit-elle, comme étonnée et scandalisée
qu’un papiste osât s’appuyer sur la Bible pour en remontrer à un protestant,
c’est le Seigneur qui décide du châtiment du père coupable et de sa
progéniture.
— J’en suis bien assuré, Madame, mais dans le cas présent,
comment peut-on connaître la décision du Seigneur avant que le siège ne se
termine en votre faveur ou en la nôtre ?
Madame de Rohan parut d’autant plus troublée par ce rappel
des sévérités bibliques qu’elle ne s’attendait aucunement à ce que je justifiasse
ce refus du roi au nom de ses propres croyances. Prévoyant le rejet de sa
requête et ne l’ayant peut-être formulée que pour essuyer un refus, la faute
retombant alors sur le roi seul, elle avait cru que j’allais justifier la
décision de Louis par les nécessités cyniques de la guerre, l’assiégeant
n’ayant pas intérêt à ce que l’assiégé se défasse des « bouches
inutiles ». Ce qui ne pourrait que prolonger le siège et lasser ses
efforts.
Mais bien que cet argument fut tout aussi valable que celui
dont je m’étais remparé, je noulus l’utiliser, ne voulant pas qu’on pût dire
que le roi était impiteux. Cependant, Madame de Rohan, passionnée comme elle
l’était, ne tint aucun compte de ces nuances et, sa première surprise passée,
elle se reprit et dit d’un ton fort
Weitere Kostenlose Bücher