La Gloire Et Les Périls
une capture, le roi dépêchait un de ses gentilshommes
avec deux commis pour négocier les rachats, et le bargoin était parfois long et
âpre avec les huguenots sur la valeur présumée de la marchandise.
Cependant, les Rochelais, fort sagement, ne relâchaient que
le fretin. Ils enfermèrent dans la tour de Coureille le maréchal de camp
Manassés de Pas qu’ils avaient eu l’honneur et le bonheur de capturer.
Cependant, pour lui, point de rançon, fut-elle énormissime. Il était trop
précieux. Mais fort humainement, ils permirent à un valet royal de pénétrer
quotidiennement intra muros pour apporter à son maître sa repue
quotidienne. Chose extraordinaire, si grande était la rigueur morale des
huguenots qui gardaient le maréchal de Pas que jamais, même aux pires moments
de la famine, ils ne prélevèrent la moindre parcelle des mets succulents qui
passaient sous leur nez.
Plein d’admiration pour une honnêteté aussi rare, surtout en
ce prédicament, Monsieur Manassés de Pas, voyant ses gardiens maigrir tous les
jours, alors que, l’oisiveté aidant, lui-même grossissait, se résolut à partager
ses viandes avec eux. Même alors, l’un des gardiens, pris de scrupules, alla
quérir de son pasteur s’il ne trahissait pas la Cause en acceptant la
nourriture de ceux qui la combattaient. Le pasteur lui répondit que non
seulement il pouvait, mais qu’il devait accepter ce don, car Dieu savait ce
qu’il faisait en touchant le cœur du prisonnier papiste et en lui inspirant cet
acte de bonté. Y répondre par un refus serait non seulement injuste et
injurieux à l’égard du prisonnier, mais irait visiblement à l’encontre de la
volonté divine.
À la lettre-missive que le roi avait envoyée au maire de La
Rochelle pour le prier de me donner l’entrant en la ville afin que je pusse
rendre visite à sa cousine, la duchesse douairière de Rohan, pour peu qu’elle y
fût elle-même consentante, le maire et la duchesse répondirent favorablement et
fixèrent le jour et l’heure : le cinq janvier, à onze heures de la
matinée, heure à laquelle je devais me présenter à la porte du Fort de Trasdon
avec mon écuyer, précédé d’un tambour du roi qui, par un roulement approprié,
devait signaler ma présence.
En me levant, le cinq janvier au matin, j’étais fort
trémulant d’impatience et de curiosité à la pensée de pénétrer intra muros dans « ce nid de guêpes huguenotes », comme avait dit Bellec, chez
ces Français qui étaient, hélas, nos ennemis, comme nous avions été les leurs
en cette nuit infâme de la Saint-Barthélemy. Quant à moi, j’étais pourtant si
proche d’eux et par mon grand-père, le baron de Mespech, et par mon père, le
marquis de Siorac, lequel avait, comme on disait alors, « calé la voile [38] » sur la prière pressante
d’Henri III, dont il n’eût pu être ni le médecin ni l’homme des missions
secrètes, s’il n’avait consenti à ce sacrifice qui lui coûta d’autant plus
qu’il dut élever ses fils et ses filles dans une religion qu’il estimait, comme
La Boétie, « merveilleusement corrompue d’infinis abus ».
Tandis qu’il m’aidait ce matin-là à m’habiller, Nicolas, à
la pensée d’être introduit avec moi dans les murs de La Rochelle, était plus
excité qu’une pochée de souris et quit de moi s’il me pouvait question poser.
— Pose, Nicolas, pose !
— Monsieur le Comte, est-il possible qu’une fois les
portes refermées sur nous, les huguenots nous retiennent prisonniers ?
— Fi donc ! Cette idée ne leur viendrait même pas
en cervelle ! Ce sont gens rigoureux et loyaux dans le négoce comme à la
guerre.
— Soubise, pourtant, a trahi plus d’une fois la parole
qu’il avait donnée au roi.
— C’est tout différent. Soubise est un cadet ambitieux
et remuant. C’est un brouillon passablement puéril qui, à Londres, se donnait
pour duc alors qu’il ne l’était pas. À La Rochelle, où du reste il se trouve
être meshui alité et mal allant, il ne pèse plus lourd. Le pouvoir est dans les
mains du maire, du corps de ville et des pasteurs. Toutefois, la mère de
Soubise, la duchesse douairière de Rohan, exerce dans la ville une influence
morale qui n’est pas négligeable et d’autant que son fils aîné, le duc de
Rohan, étant hors des murs, bat la campagne et tâche de soulever le Languedoc
huguenot contre le roi.
— Peut-il y succéder ?
— Pas tant que nous
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