La grande Chasse
cache-t-il, cette oiseau
fantôme !
Pour éviter un nuage, je vire sec, vers la droite. Tout à coup, je sursaute. A quelques mètres au-dessus de moi, plane un Spitfire. Je distingue nettement la cocarde aux couleurs britanniques, grande comme une roue de chariot.
Brutalement, je cabre et monte en chandelle. Cette fois, il ne m'échappera pas !
L'Anglais m'a vu, lui aussi. Dérapant sur l'aile, il fonce pour passer sous mon ventre.
J'enfonce la manette des gaz et lance mon coucou dans un virage serré au maximum. Surtout, ne pas le perdre de vue ! Des deux mains, je tire sur le manche. Un poing géant me repousse dans le creux du siège, une vibration intolérable passe devant mes yeux...
Le voilà encore ! Lancé au maximum de puissance, il pique, presque à la verticale, vers l'ouest, en direction de la mer. Aussitôt, je bascule et me lance à sa poursuite. Le moteur tourne à une allure affolante. Comme j'allume le collimateur, je me rends compte que mes ailes commencent à vibrer.
Je déclenche le tir avant même d'être à bonne portée. Pour augmenter la vitesse, je ferme les volets du radiateur. Tant pis si le moteur saute !
Comme une flèche, le Spitfire file vers le sol. Malgré mon énervement, je ne puis m'empêcher d'admirer l'élégance de sa silhouette, et aussi le cran de son pilote.
6 000 mètres ! Je le tiens dans mon viseur. Comment résister à la tentation de lui envoyer une rafale !
5 500 mètres ! La distance est encore trop grande, au moins 300 mètres.
4 000 mètres, 3 000, 2 000... mon moteur va se mettre à griller... notre piqué frise de plus en plus la verticale, il n'y a rien à faire, le Spitfire est trop rapide. La distance, au lieu de diminuer, augmente sans cesse. J'ai l'impression que ma tête va éclater. Des craquements douloureux crépitent dans mes oreilles. J'ai arraché le masque à oxygène, et je sens l'acre odeur du glycol surchauffé. Les radiateurs sont en train de bouillir ! Et le badin indique toujours 800 km/h.
A 1 000 mètres, l'Anglais récupère lentement de son piqué. L'un derrière l'autre, nous passons en trombe sur les champs de neige de la chaîne côtière. Je serre les dents en constatant que mon vieil « Emile » reste lamentablement à la traîne. Evidemment, c'est un vétéran, un rescapé de la campagne de Pologne, alors que le Spitfire, racé, flambant neuf, représente certainement le dernier cri en matière de perfectionnements modernes.
Comme nous débouchons au-dessus de la mer, j'abandonne la vaine poursuite. La rage au cœur, j'ouvre les volets du radiateur et amorce un large virage pour regagner la côte. L'Anglais n'est plus qu'un minuscule point noir au ras de l'horizon. Bon voyage, mon ami, et que les vents de la mer du Nord te soient favorables ! A bientôt, sans doute...
L'hélice au pas, je m'engage entre les parois abruptes du fjord dont la beauté sauvage me console quelque peu de ma déconvenue.
L'atterrissage sur la patinoire qu'est la grande piste n'a rien de drôle. Quand l'appareil a enfin fini de valser, je me rends compte que je tremble, de fatigue, de froid, d'énervement. Au fond, ce n'est pas étonnant : ce piqué insensé aurait ébranlé les nerfs d'un hippopotame.
Un cognac, en vitesse !
4 mars 1942.
Voilà trois jours que « mon » Tommy n'est pas revenu Le commandant offre une bouteille de vrai Hennessy, un véritable trésor, à celui qui va le descendre. C'est certainement une prime alléchante, mais, pour moi, cette histoire est devenue une question d'amour-propre. Trois fois déjà, j'ai essayé d'abattre ce garçon qui a l'air de nous narguer. Il faut que la quatrième soit la bonne !
5 mars 1942.
Une agitation soudaine dans la baraque centrale : « L'Anglais revient ! » Même le standardiste se passionne pour ce gibier insaisissable.
Un saut par la fenêtre, une vingtaine de bonds dans la neige, et je me hisse dans le cockpit de mon « Emile ». Quelques secondes plus tard, je décolle.
13 h 02. De toute la puissance de mon brave moteur, je me visse dans le ciel limpide.
13 h 10. A 5 000 mètres, je mets le masque. Mon Dieu ! qu'il fait froid !
Indien dans César-Ida, Hanni sept-zéro ! [6] . Victor, Victor [7] , dis-je, tout en claquant des dents.
— Indien maintenant dans César-Kurfürst. Puisque l'Anglais se promène à 7 000 mètres, je vais monter à 8 000 afin de m'assurer l'avantage.
— Indien dans Berta-Ludwig !
C'est bien ce que je pensais.
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