La grande Chasse
apparaître d'un instant à l'autre. Malheureusement, je ne suis pas très sûr de ma position. Et je n'ai qu'une confiance mitigée en ma boussole.
Je sursaute en voyant s'allumer l'ampoule rouge qui indique la limite de la réserve d'essence. Si je n'ai pas atterri d'ici dix minutes, c'est la panne sèche, et le grand plongeon.
Enfin la terre ferme ! Mais quelques secondes plus tard, je survole de nouveau un plan d'eau. Je ne comprend plus. Cette sacrée boussole...
Une autre terre. Est-ce une île ? Ça n'en a pas l'air. Je distingue, derrière les digues, plusieurs lacs aux berges à peine marquées. Je pousse un soupir de soulagement. Ce paysage sans relief, c'est la Hollande septentrionale.
Deux minutes plus tard, je me pose sur une des immenses pistes de Leeuwarden. Aussitôt, les rampants accourent. Mon coucou est dans un triste état. J'ai à peine besoin de repousser le hublot. Dès que je le touche, il se détache et tombe sur l'aile droite.
Juste derrière le cockpit, une partie du fuselage est éventrée. Le flanc droit porte plusieurs trous, aux bords noircis. Voilà sans doute l'explication de cette odeur de brûlé.
Dans la salle des rapports, mon regard s'arrête sur le calendrier. Nous sommes le 13 !
Toute ma vie, j'ai détesté cette date qui porte malheur. [5]
14 février 1942.
Un temps exécrable. Des fenêtres du poste de météo, je contemple mélancoliquement l'immense terrain que balaie la tempête de neige. On a mis à ma disposition un Messerschmitt 108 pour me permettre de rejoindre la base de Jever, mais il n'est pas question de décoller. Finalement, je téléphone au bureau de l'escadre. C'est le lieutenant Blume, l'adjoint du patron, qui me répond.
— Eh bien, mon vieux, qu'est-ce que tu fabriques ? On te croyait déjà en train de divertir les poissons. Tu es détaché, à partir d'aujourd'hui, au groupe de combat « Losigkeit », en qualité d'adjoint du commandant. Arrange-toi pour arriver au plus vite. Demain, le groupe de combat doit partir en Norvège.
Quelle magnifique surprise ! Dans ma joie, je me mets à bégayer.
— Qu'est-ce que tu dis ? hurle Blume. Je ne comprends rien. Dépêche-toi, mon petit vieux, décolle dès que le vent diminue.
Bien entendu, le vent ne diminue pas, mais alors, pas du tout. Indifférent à mon impatience, il continue à hurler, à gémir, à soulever des nuages de neige qui s'enfuient au ras du sol, comme des fantômes apeurés. Vers la fin de l'après-midi seulement, sa violence s'apaise. La masse compacte des nuages commence à s'effilocher, laissant passer quelques pâles rayons de soleil.
Un adjudant-chef pilote l'appareil qui me ramène à Jever. Je me cale confortablement dans mon siège et, fermant les yeux, m'efforce de ne penser à rien. J'ai déjà compris que, dans l'aviation de chasse, il faut profiter de chaque occasion pour resquiller quelques minutes de répit.
A Jever, je me présente aussitôt au bureau du groupe de combat qu'on est en train de former. La nouvelle unité devra assurer la protection de nos navires jusqu'à leur base norvégienne. Ensuite, elle sera dissoute. Son chef, le capitaine Losigkeit, vient de rentrer, après un voyage plein de péripéties, du Japon où il avait été détaché, avant la guerre, comme instructeur dans l'aviation du Mikado.
Jusqu'à minuit, nous travaillons d'arrache-pied. La plupart des pilotes qui constitueront le groupe arrivent des écoles de chasse du Reich. Avec ces éléments renforcés par quelques vétérans, nous formons deux nouvelles escadrilles. Quant au personnel au sol, nous l'empruntons à la première escadre qui nous prête également sa 3e escadrille — la mienne — commandée par le capitaine Dolenga. Lorsque le groupe de combat aura rempli sa mission, la 3e escadrille retournera à Jever.
15 février 1942.
Au début de la matinée, quatre appareils de transport embarquent le personnel technique, l'équipement indispensable et une petite réserve de munitions. A 9 heures, ils s'envolent pour Oslo.
A 10 h 25, le groupe de combat proprement dit décolle à son tour. Notre première escale sera Esberg, au Danemark. Après un trajet rendu pénible par la mauvaise visibilité, le chef de groupe et moi-même nous posons les premiers, refaisons le plein et repartons immédiatement pour Aalborg.
Là, les choses vont se compliquer. Le terrain est couvert de neige fraîche. Les pistes, dégagées par les rampants, sont verglacées. Bordées de
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