La grande Chasse
train d'atterrissage a dû céder. Pendant une bonne centaine de mètres, l'appareil glisse sur la glace sonore. Enfin, il s'immobilise. Je repousse le hublot, saute sur l'aile, me penche dans l'intérieur. Cinq secondes plus tard, je me redresse, le lourd manteau sur le bras, la serviette bourrée de papiers à la main. Sous le ventre de mon malheureux avion, la glace gémit et craque. Je me précipite vers la berge et, d'un bond, escalade un rocher.
Que c'est bon de sentir sous ses pieds ce cher vieux plancher des vaches ! b Ouf ! J'ai eu chaud. Mes jambes flageolent, et j'ai beau me raidir, je suis obligé de m'asseoir dans la neige. Instinctivement, j'évoque le souvenir des nombreux pilotes qui se sont cassé les reins en tentant un atterrissage forcé dans cette région sauvage.
Je consulte ma montre : 15 heures. Dans une heure, les autres se poseront à Oslo et organiseront une caravane de secours. A quelques kilomètres près, ils savent où me chercher. Mais ils ne pourront guère arriver avant demain matin.
Avant d'atterrir, j'avais remarqué, à l'ouest du petit lac, une gorge profondément encaissée, allant du nord au sud. Peut-être mène-t-elle quelque part. Après avoir enfilé mon manteau, je me mets en route. C'est à pleurer de rage. Il y a un quart d'heure, je volais, libre et léger comme un oiseau, et me voilà forcé de patauger péniblement dans la neige. Après une éternité, — c'est long, cinq cents mètres, quand on enfonce à chaque pas jusqu'à la taille, — j'arrive au bord de la gorge. Sur le versant opposé, quelque trois cents mètres plus bas, passe une route. Malheureusement, elle est déserte. De toute façon, je ne pourrais pas l'atteindre. Il faudrait être un alpiniste de grande classe pour descendre dans la paroi verticale qui s'enfonce à mes pieds sur sept ou huit cents mètres.
Résigné, je reprends le chemin du lac Mon appareil repose, bien à plat, sur la glace. J'espère que la couche est assez solide pour supporter, en plus, mon propre poids. Si je ne veux pas mourir de froid, je dois passer la nuit à l'abri, c'est-à-dire dans le cockpit.
Je commence à avoir faim. Au fond d'une poche, je découvre deux petites tablettes de chocolat et quelques cigarettes. Cela me permettra toujours de tenir jusqu'à demain.
Déjà, le soleil se couche. J'ouvre mon parachute et m'enveloppe dans les pans de soie. Puis, je me cale sur le siège et referme le hublot.
Au-dessus de ma tête, défile un lent cortège de nuages argentés. Peu à peu je m'assoupis.
7 mars 1942.
Je me suis réveillé à plusieurs reprises. Chaque fois, j'ai fait en courant le tour de l'appareil pour ranimer la circulation dans mes bras et jambes engourdis par la position inaccoutumée. Décidément, ce cockpit manque de confort.
Depuis minuit, il neige. Ce n'est pas comme en Allemagne où les flocons tombent doucement, en dansant. Ici, c'est une masse serrée, presque compacte. Ce matin, mon pauvre Messerschmitt disparaît sous le linceul humide. Seuls l'empennage et une pale de l'hélice émergent encore.
A présent — c'est-à-dire à huit heures du matin — il neige moins fort. Assez cependant pour réduire la visibilité à tout au plus cent mètres. Ce qui signifie que les secours ne me parviendront pas par la voie des airs. Et même si les camarades m'expédient un groupe de skieurs, il n'est pas sûr que les sauveteurs me trouvent, dans ce paysage chaotique. De toute façon, je peux seulement attendre sur place. Si je voulais essayer de regagner la civilisation par mes propres moyens, je m'égarerais à coup sûr.
Je grignote un morceau de chocolat. Un peu plus tard, je mâche une cigarette ; premièrement, je ne fume pas, deuxièmement, je n'ai pas d'allumettes. Ce n'est pas très bon, mais cela apaise la faim.
Je reste dans l'appareil où il fait quand même moins froid que dehors. De temps en temps, je sors pour me dégourdir les jambes.
Comme je tripote distraitement le tableau de bord, je constate que l'installation électrique est intacte. J'en profite pour tirer quelques brèves rafales de mes deux canons. L'écho des détonations se répercute longuement. On doit l'entendre à plusieurs kilomètres.
Les heures s'écoulent avec une lenteur désespérante. Je mâche une seconde cigarette, puis une troisième. Peut-être la nicotine endormira-t-elle mon estomac qui crie famine.
Vers 2 heures de l'après-midi, le vent fraîchit brusquement. Le paysage devient de plus en plus
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