La grande Chasse
est aussi merveilleux que dangereux. Sommets qui atteignent presque 3 000 mètres, vallées profondément encaissées, torrents pris par le gel, forment un tableau à la fois grandiose et inquiétant. A l'ouest, des falaises verticales plongent jusqu'à la mer.
De nombreux appareils allemands se sont écrasés, au cours des semaines précédentes, dans ce désert de roche, de glace et de neige.
Après un trajet de quatre-vingt-cinq minutes, nous nous posons, avec nos dernières gouttes d'essence, sur le vaste terrain de Trondhjem.
Cette base est certainement unique dans son genre. Construite sur un plateau qui domine le port, elle se termine, du côté nord, par une profonde cassure, un à-pic vertigineux qu'entourent les eaux glauques du fjord. L'unique piste d'atterrissage, longue de huit cents mètres, large de trente, est tout juste suffisante. Pavée de cubes de bois, elle trace un ruban verglacé bordé de murailles de neige. Une véritable piste-suicide.
25 février 1942.
Le capitaine Losigkeit, le personnel du P.C. et moi-même nous installons dans une petite baraque située à quelques mètres au-dessus du terrain. Il fait un froid sibérien.
Cette nuit, le Prince Eugène, cuirassé de 36 000 tonnes, est entré dans le fjord. Gravement endommagé par une mine, le bâtiment sera remis en état dans les chantiers du port.
Pour nous, son arrivée signifie un surcroît de travail. De l'aube jusqu'à la tombée de la nuit, nos patrouilles surveillent l'espace aérien. Dans l'air glacial, leurs traînées de condensation se dessinent avec une netteté surprenante.
Nous nous attendons à des attaques massives. Les Tommies ne renonceront pas facilement à ce gros morceau.
Presque tous les navires qui ont franchi la Manche ont été touchés. Le Gneisenau, très mal en point, a dû se réfugier dans le port de Kiel.
26 février 1942.
A 13 h 12, nos postes de radar signalent l'approche d'un avion ennemi très rapide. Manifestement, il s'agit d'un appareil de reconnaissance.
A 13 h 15, je décolle, seul. A tout prix, il faut que j'intercepte ce gaillard.
Par une spirale interminable, je grimpe jusqu'à 8 000 mètres. La section de patrouille a reçu l'ordre de cercler au-dessus du Prince Eugène.
J'ai beau zigzaguer, regarder à droite, à gauche, le ciel est vide. Pas la moindre trace de l'Anglais. Les indications du contrôle au sol sont trop imprécises pour me guider. Après avoir vainement rôdé pendant quatre-vingt-cinq minutes, je me pose, furieux et déçu. Cette sortie pour rien m'a tout juste rapporté un début d'engelures aux pieds.
27 février 1942.
Cela fait la seconde fois que j'ai essayé d'attraper ce Tommy solitaire, et qu'il m'a filé entre les doigts.
28 février 1942.
Le sous-officier de service se précipite dans le bureau où je noircis des pages et des pages de rapport.
— Mon lieutenant, l'appareil de reconnaissance est revenu !
Je saute par la fenêtre et, pataugeant dans la neige, dévale le talus, vers la grande piste.
— Alerte !
Déjà, les mécaniciens s'affairent autour de mon zinc, arrachent les bâches, repoussent le hublot. Pendant que je m'attache sur mon siège, le moteur commence à chauffer.
— Prêt !
Le hublot se referme, les mécaniciens s'accroupissent sur les plans et se laissent glisser. J'ouvre en grand l'admission des gaz. Le moteur se met à hurler. Jaillissant derrière le fuselage, un haut tourbillon de neige m'accompagne jusqu'à la piste.
Vingt secondes plus tard, j'arrache l'appareil et commence aussitôt à grimper.
Aujourd'hui, le contrôleur est en forme. Avec une précision parfaite, il m'indique les positions successives de l'ennemi.
Comme hier et avant-hier, l'Anglais franchit la côte à Christiansand. Altitude 8 000. Je vais mettre dix-huit minutes pour grimper jusqu'à lui.
— Indien dans Berta-Kurfürst. Hanni huit-zéro. Comment va Victor ? crie la voix du contrôleur.
Ce qui signifie en langage normal : appareil de reconnaissance ennemi dans le carré B-K de la carte. Altitude 8 000. Est-ce que vous m'entendez bien ? Je réponds aussitôt :
— Victor excellent ! (Je vous entends parfaitement ).
Si le contrôle ne s'est pas trompé, je dois apercevoir mon gibier d'un instant à l'autre. Malheureusement, des volutes de brume gênent considérablement la vue. J'écarquille les yeux, je tourne la tête à droite, à gauche, toujours rien.
— Indien maintenant dans Berta-Ludwig ! Nom d'un chien, où se
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