La grande Chasse
atterrit une escadrille d'avions d'assaut qui doit nous relever.
Nous décollons par un temps magnifique et mettons le cap au sud. En tête de notre formation, vole un bimoteur Messerschmitt 110, équipé du dispositif de pilotage automatique et d'un radar. Nous allons faire le trajet jusqu'à Oslo-Fornebu sans escale. C'est le parcours maximum pour nos appareils dont les réservoirs n'ont qu'une capacité très limitée.
De nouveau, j'admire sans me lasser ces merveilleuses montagnes avec leurs glaciers gigantesques, leurs gorges profondes, leurs falaises dont la base baigne dans la mer. Parfois, je m'amuse à compter les innombrables îlots rocheux qui émergent à quelques encablures de la côte.
Mon moteur tourne au régime de croisière, égrenant son chant rassurant, mais aussi monotone. La radio reste muette. Je dois lutter contre rétourdissement qui me gagne. Ce maudit bordeaux qui alourdit la tête...
Nous survolons la chaîne sauvage de Roros. Que ce pays est beau ! A condition de ne pas avoir de panne. L'idée de se poser sur ces pentes abruptes, ou de sauter en parachute pour se fracasser contre ces parois, n'a rien de réjouissant.
Avec une certaine inquiétude, je constate que la jauge d'essence fait des siennes. Elle doit être déréglée. Si elle fonctionnait normalement, j'aurais consommé le triple de la quantité de carburant prévue. Or, je sais que le régime de mon moteur est extrêmement économique. Il va falloir que je fasse remplacer cette jauge.
Opérant d'une main, je prends quelques photographies que je vais envoyer à Lilo. Eh oui, Lilo... il y a quelques semaines, elle s'est installée à Tiibingen, chez une de ses tantes. Bientôt, elle aura un bébé. Je le sais depuis le 10 août de l'année dernière, cela fait donc huit mois. Dire que je ne serai même pas auprès d'elle pour la naissance de notre enfant. Et Dieu sait quand je reverrai ma femme, quand je pourrai embrasser mon fils, car, bien entendu, ce sera un fils...
Ça, par exemple ! L'ampoule rouge qui indique la limite de sécurité du réservoir vient de s'allumer.
Mais, voyons, c'est impossible ! Il y a à peine trente minutes que nous avons décollé !
Arraché à ma rêverie, je remarque une forte odeur d'essence. C'est charmant ! Vais-je être obligé de me poser ici, dans ce désert de neige ?
Par radio, j'avertis le capitaine Losigkeit :
— Jumbo 1, ici Jumbo 2, Jumbo 1, ici Jumbo 2 : j'ai une fuite de réservoir ou de l'arrivée d'essence. Plus de jus, serai forcé d'atterrir dans cinq minutes.
Le patron répond par un chapelet de jurons. Je sais qu'il ne peut rien pour moi, et qu'il en souffre. Les camarades me souhaitent bonne chance, (en employant un terme moins académique). Ils ne peuvent guère s'attarder. Pour eux aussi, chaque minute est précieuse. Je me racle la gorge.
— Jumbo 2 quitte la formation. Terminé ! dis-je, d'une voix que je voudrais plus ferme.
Je n'ai pas une seconde à perdre. Il faut que je trouve un endroit approprié avant l'arrêt du moteur. Et ce ne sera pas facile.
Pour l'instant, les montagnes que je survole se dressent encore à près de 2 000 mètres. Vus d'en haut, les champs de neige paraissent parfaitement plats et lisses. Mais en descendant, je me rends compte qu'en réalité, ces vastes étendues sont parsemées de blocs de granit et coupées de nombreuses crevasses. Me poser sur ce terrain accidenté équivaudrait tout simplement à un suicide.
Sauter en parachute ? Il ne faut pas y songer. Impossible de prévoir où je serai emporté. Sans compter que je ne me vois pas errer dans ce chaos nordique sans mon manteau de cuir, au col de fourrure. Or, ce vêtement est enfoui quelque part au fond de l'appareil. Je ne pourrais jamais l'atteindre avant de sauter.
A présent, je ne sens plus du tout les effets de l'alcool. Je suis parfaitement lucide. Pourvu que cette lucidité serve à quelque chose !
Devant moi, une langue de glacier descend doucement vers un petit lac couvert d'une couche de glace et de neige. Quelle peut être l'épaisseur de cette couche ? Tiendra-t-elle ?
Je n'ai pas le choix. Il faut qu'elle tienne !
Les dents serrées, j'amorce mon atterrissage. Si je réussis à poser l'appareil très doucement, juste au pied de cette langue glaciaire...
Couper les gaz... baisser les volets... sortir le train... Un choc atténué, les roues touchent le sol, s'enfoncent dans la neige qui jaillit en un geyser étincelant. Un craquement, le
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