La grande Chasse
remparts de neige, elles ressemblent à des patinoires.
Comme je m'apprête à atterrir, un Junker 88 sur le point de se poser, fait une embardée et casse son train. L'appareil retombe sur le ventre, au beau milieu de la piste. Je l'évite par miracle.
Deux minutes plus tard, notre première escadrille se présente au-dessus du terrain.
C'est le moment de garder son sang-froid. Je reste dans mon coucou et, par radio, avertis nos pilotes de l'état de la piste et de la présence du Junker accidenté. A peine se sont-ils posés qu'arrive la 2e escadrille, et je dois recommencer à conduire les appareils, l'un après l'autre, à grand renfort de recommandations, de cris et de jurons. En ce moment, nous ne pouvons nous permettre d'immobiliser un seul avion. D'après ce que nous savons, il y aura de la bagarre en Norvège.
Mais où diable a bien pu passer la 3e escadrille ? Nous téléphonons à Esberg. On nous répond que la 3e, avec son chef, le lieutenant Eberle, a fait l'escale prévue et est repartie au grand complet, à 13 h 10.
Tout l'après-midi, nous attendons, de plus en plus inquiets. Nos recherches fiévreuses restent vaines. Eberle et son escadrille ont disparu en plein ciel.
La nuit est tombée quand nous recevons enfin un appel qui dissipe le mystère : par suite du mauvais temps, Eberle s'est égaré et, finalement, s'est posé avec son escadrille sur la glace qui recouvre le fjord de Lymph. Un seul appareil a été endommagé. Capotant à l'atterrissage, il a brisé la glace et s'est enfoncé par le nez. Le pilote s'est noyé ; attaché sur son siège, la tête et les épaules dans l'eau, il n'a pu se dégager à temps. Ses camarades ont mis plus d'une heure pour ramener le corps sur la terre ferme.
16 février 1942.
Le mauvais temps qui persiste sur la Norvège méridionale nous cloue au sol.
Dans le fjord de Lymph, des tracteurs remorquent les appareils jusqu'à la plage, puis, les hissent jusqu'à un petit plateau d'où ils pourront probablement décoller.
17 février 1942.
Le temps est toujours aussi infect.
Eberle et ses pilotes viennent d'arriver à Aalborg. Il espère que son escadrille sera disponible dans deux ou, tout au plus, trois jours. Sur le plateau au-dessus du fjord, les mécaniciens travaillent jour et nuit pour remettre en état les trains d'atterrissage malmenés par la glace.
18 février 1942.
Au mess, il y a quelques caisses d'excellent bordeaux. Servi chaud et aromatisé à la cannelle, il nous aide à tromper l'ennui.
19 février 1942.
La 3e escadrille est de nouveau prête au combat. Mais le pauvre Eberle a des soucis. Il va être traduit en conseil de guerre.
La météo annonce pour demain une amélioration sensible. Pour ma part, je n'y crois pas. On a l'impression que cette tempête ne cessera jamais.
20 février 1942.
Les mécaniciens sortent les appareils de leurs abris camouflés. Sur les pistes, la neige continue à tourbillonner. Les hommes de la météo, eux, continuent à prédire le retour du beau temps. Les pilotes, frigorifiés, attendent dans leurs coucous en grommelant des jurons bien sentis.
Vers midi, un autocar les ramène aux baraques.
Et la météo, avec une obstination exaspérante, annonce toujours un ciel limpide !
Pour une fois, ces messieurs ne se seront pas trompés. A 15 heures, les nuages commencent à se lever. A 15 h 35, nous pouvons enfin décoller.
Pourvu que les Tommies n'aient pas profité de notre inactivité forcée pour envoyer nos bâtiments par le fond !
Nous survolons le Skagerrak, chaudron infernal de lames énormes aux crêtes déferlantes. Cinquante minutes plus tard, la côte abrupte de Norvège se dresse comme pour nous barrer la route. Pour traverser le fjord d'Oslo, nous descendons au ras des vagues.
A une quarantaine de kilomètres au nord d'Oslo, dans un cirque de montagnes hostiles, est niché un terrain solitaire, profondément enneigé. C'est Gardermoen, escale rarement utilisée en temps de paix, promue depuis l'occupation allemande au rang de base auxiliaire.
24 février 1942.
Nous voilà encore bloqués depuis trois jours. La haute montagne au nord de la vallée reste invisible, escamotée par les nuages.
Ce matin, un Junker équipé pour le vol sans visibilité a décollé pour reconnaître les conditions atmosphériques au-delà de la première chaîne. Par radio, il annonce que « ça commence à se lever ».
Eh bien, allons-y ! On verra bien...
Le survol des montagnes de Norvège
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