La grande Chasse
sinistre. Je tire encore deux ou trois rafales pour attirer l'attention de la colonne de secours, si elle s'est mise en route. Lorsque la nuit sera totale, je pourrai utiliser mes traceuses dont les gerbes orange doivent se voir de loin.
L'attente est interminable. Déjà l'obscurité commence à engloutir le paysage.
La soie du parachute est douce comme une robe de femme. Une pensée charmante, très poétique, mais qui ne peut me faire oublier le fait que, depuis des heures, je grelotte lamentablement. Le tabac, au goût à la fois acre et doucereux, me donne la nausée.
Je voudrais dormir...
8 mars 1942.
Il est déjà midi. La neige a cessé de tomber. Et j'ai l'impression qu'il fait moins froid.
Tout de même, ils ne peuvent plus être loin, à présent. Tous les quarts d'heure, je déclenche le tonnerre rageur de mes canons. S'ils ne m'entendent pas, c'est qu'ils sont sourds !
Vers 16 heures, je sursaute et me frotte les yeux. Etait-ce un chien ? Quelques secondes plus tard, un magnifique setter au poil roux et blanc accourt en aboyant. Derrière lui, arrive un lieutenant de chasseurs alpins qui m'aide à m'extirper de mon appareil.
9 mars 1942.
La même nuit encore, une puissante voiture m'a conduit à Oslo.
Je me présente au bureau central de la Marine, puis, me traîne jusqu'à l'hôtel où l'on m'a réservé une chambre.
Je dors comme une souche jusqu'à midi. Au début de l'après-midi, je partirai avec un appareil de transport qui me déposera à Aalborg où le groupe de combat est, une fois de plus, immobilisé par le mauvais temps.
10 mars 1942.
Les camarades m'ont fait un accueil délirant, et copieusement arrosé. Tout le monde s'extasie devant le setter que les chasseurs alpins ont bien voulu me vendre. Il s'appelle Turitt, d'un nom norvégien emprunté à la mythologie nordique.
Quelques minutes avant midi, nous nous posons à Jever, notre ancien terrain de Hollande. Le groupe de combat sera dissout. Dieter Gerhard et moi retournons dans notre escadrille.
21 juin 1942.
Depuis mon retour de Norvège, l'escadrille a fait plus de mille sorties au-dessus des eaux grises du golfe d'Allemagne.
Tous nos pilotes sont de vieux renards et des types épatants.
Le chef, appelé familièrement le Vieux, est le capitaine Dolenga dont je suis l'adjoint, c'est-à-dire l'homme-à-tout-faire. Notre officier technique est mon ami Gerhard. Son adjoint, le sous-lieutenant Steiger, un grand garçon très blond, très élégant, vient d'abattre son premier Blenheim. Il y a encore trois adjudants-chefs, titulaires de la Croix de Fer de première classe depuis la bataille d'Angleterre, deux adjudants spécialistes des missions d'escorte maritime, et un sergent qui, au début de la guerre, était dans l'infanterie.
Mon mécanicien, le caporal Arndt, dorlote officiellement mon zinc et, à titre privé, la ménagerie de l'escadrille : le chien Turitt, pomponné et gâté comme une vedette de cinéma, la guenon Fips qui manifeste des tendances anarchistes et vient de voler, au cours d'une cérémonie, la casquette du colonel, et les deux moutons dont les côtes seront servies le soir de Noël.
Tout ce petit monde vit en commun, dans un univers hermétique dont le centre et la raison d'être est le terrain.
23 juin 1942.
Depuis hier soir, je suis détaché, avec une section de l'escadrille, à un autre terrain, également situé en Hollande. Au point de vue tactique, je dépends directement de la division aérienne qui va mettre en service, d'ici quelques jours, le poste de contrôle au sol le plus moderne du monde.
Au cours de la nuit, nos avions ont été équipés de postes radio à ondes ultra-courtes.
A moi l'honneur de procéder aux essais techniques et tactiques du « procédé Y », la nouvelle méthode de direction, par le contrôle au sol, des appareils de chasse.
Au point de vue technique, le procédé Y signifie une amélioration considérable des communications radio entre le chasseur et le contrôle, surtout à grande distance.
Au point de vue tactique, le contrôle sera en mesure de situer et de diriger immédiatement les formations qui ont pris l'air.
Le nouveau poste de contrôle est installé dans un monstrueux abri souterrain dont l'épaisse couche de béton résiste aux bombes les plus lourdes. Au centre de la pièce principale, sur une paroi de verre de quelque 300 mètres carrés, est tracée une carte des Pays-Bas.
Derrière cette paroi, sur une estrade, sont assises des
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