La grande Chasse
le choc...
Au dernier moment, je distingue, juste devant le nez de l'appareil, une ligne à haute tension.
Cette fois, c'est la fin !
A côté de moi, apparaît le visage livide de Kuhl. J'arrache l'avion qui se cabre pour passer juste au-dessus des fils. Puis, il bascule brutalement, le vent siffle contre les bords d'attaque...
Un fracas terrible !
Des arbres se brisent comme des allumettes, le plan gauche se détache, le fuselage s'abat avec un bruit sourd, glisse sur une trentaine de mètres, dans un déchirement de tôles.
La tête de Kuhl, projetée en avant, heurte durement le tableau de bord.
Et c'est le silence — un silence profond, sinistre. Puis, je perçois un bruit de ruissellement : mille litres d'essence qui s'échappent des réservoirs éclatés.
Khul a perdu connaissance. La tête en sang, il s'est affaissé à mes pieds. Le mécanicien s'est évanoui, lui aussi. Quant à moi, je suis aveuglé par le sang qui coule d'une profonde entaille du cuir chevelu. J'essaie vainement de repousser le hublot du poste de pilotage. Et je ne suis pas plus heureux avec la porte conduisant à la carlingue. J'ai beau la secouer, elle ne bouge pas.
L'odeur d'essence commence à m'affoler. Si l'appareil prend feu, nous allons tous griller !
Des deux poings, je cogne désespérément contre les vitres en plexiglass.
Enfin, je vois apparaître, dehors, les visages angoissés de Hopp et de Harder. A coups de pied, ils défoncent le hublot. Je me hisse sur le rebord. Nous dégageons Kuhl et le mécanicien, pansons sommairement leurs plaies. Harder part chercher du secours.
Une fois de plus, je rentre par le train.
18 décembre 1940.
Aujourd'hui, au cours d'une grande cérémonie au Palais des Sports, à Berlin, le Führer s'est adressé à trois mille aspirants de l'armée, de la marine et de l'aviation. Au cours des semaines qui vont venir, tous ces jeunes gens seront nommés officiers et envoyés au front.
Et au cours des années qui vont venir, la plupart d'entre eux vont mourir !
3
AU-DESSUS DE L'ANGLETERRE ET DU FRONT DE L'EST
2 janvier 1941.
« L'aspirant Knoke, ayant suivi les cours de la 1er école de l'aviation de chasse, est affecté à partir du 2 janvier 1941 au 52e groupe de chasse ».
Au bureau central, un adjudant-chef m'inscrit à la première escadrille. Le lieutenant Oehlhauer qui la commande me reçoit avec une indifférence glaciale. Lentement, comme à regret, il me tend la main — une main molle, grasse, peu virile. Avec son visage bouffi et ses yeux de poisson mort, il m'est extrêmement antipathique. Et j'ai l'impression que cette antipathie est réciproque. Cela promet !
Un sous-lieutenant entre dans la pièce. Petit, chétif, il a l'air d'un collégien. Je me présente. Il me toise avec une arrogance à peine déguisée. Il ne me plaît pas plus que son chef.
Le 52e groupe de chasse est une unité de complément. Elle se compose de deux escadrilles et d'une compagnie d'état-major. C'est, comme me l'explique un officier, à la fois un atelier de finition et un réservoir de matériel humain. On achève et fignole l'instruction des pilotes venus des différentes écoles, pour les diriger ensuite, selon les besoins, sur les unités engagées au front.
Pour l'instant, nous sommes ici une dizaine d'aspirants. Probablement, nous ne serons envoyés au front qu'après notre nomination au grade de sous-lieutenant. En attendant, nous faisons un maximum d'entraînement et poursuivons l'étude des mille corvées qui accablent l'officier en campagne.
Pour ma part, j'en ai plein le dos, de cette existence fastidieuse. Je veux enfin avoir l'occasion de me battre !
10 février 1941.
Depuis quinze jours, notre groupe est stationné en France, à Cognac. Notre base est un vieux terrain militaire français, aux installations primitives, aux pistes extrêmement mauvaises.
La ville est vieille, grise endormie. Et pourtant, elle est célèbre dans le monde entier, grâce à ce nectar qu'est le cognac. Une merveilleuse consolation qui fait oublier bien des choses...
7 mars 1941.
Nous sommes de retour en Allemagne.
Le groupe s'est installé à Doeberitz, dans la grande banlieue de Berlin. Nous sommes chargés de participer à la protection aérienne de la capitale. Mais les Tommies ne font leurs incursions que de nuit.
Depuis la fin de la campagne de France, le centre de gravité de la guerre a quitté la terre ferme pour se fixer dans les airs.
Considérés sous l'angle
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