La grande déesse
pendus sur des ficelles. Cela ressemble bien à certains usages populaires dans les campagnes françaises, où l’on voit des fragments de vêtements, et même des vêtements entiers, disposés en des lieux sacrés dans le but d’obtenir une guérison ou la réussite de quelque projet 69 . Et il faut remarquer que la statue de Sara demeure perpétuellement dans la crypte. C’est seulement en 1935 que les Gitans ont été autorisés par l’Église à la porter en procession pendant la fête de mai. Encore se bornèrent-ils à la plonger dans la mer et à la redescendre dans la crypte. On ne peut manquer de penser au rituel de certains Indiens du cap Comorin, qui sont certainement de même origine que les Gitans : ils font de même avec la statue de la déesse Dourgâ, autrement dit de Kâli la Noire. Le sanctuaire des Saintes-Maries-de-la-Mer garde vraiment tout son mystère.
Il est tout aussi étonnant de constater que si les Maries sont arrivées à trois, elles ne sont plus honorées qu’au nombre de deux, Sara n’étant pas une Marie. La troisième, Marie-Madeleine, a suivi son propre itinéraire et s’en est allée finir ses jours dans le recueillement et la méditation dans une grotte de la montagne de la Sainte-Baume, emplacement qui, s’il n’est pas historique, est néanmoins devenu un sanctuaire dédié à cette « pécheresse repentie » qu’est la mystérieuse Marie de Magdala. La doctrine officielle romaine a eu bien du mal à admettre ce personnage et a largement œuvré pour la camoufler, sinon pour l’occulter complètement. Qui était-elle exactement ? Nul ne le sait, mais, selon toute probabilité, c’était une ancienne grande prêtresse d’un culte de la Déesse, devenue l’une des premières disciples de Jésus, qui, en raison de sa fortune, a fourni un soutien matériel à son action. Ce n’est certes pas par hasard si les Évangiles font de cette Marie de Magdala le premier témoin de la résurrection du Christ, et quoi qu’il en soit, elle demeure l’un des personnages essentiels de la vie publique de Jésus. C’est pour cette raison qu’on a lancé diverses hypothèses sur son compte, notamment celle qui en ferait la concubine, sinon l’épouse de Jésus. Quelle que soit l’énormité de cette hypothèse au regard des chrétiens orthodoxes, la chose n’a rien d’impossible et n’est pas invraisemblable. Comment expliquer autrement le culte voué dans toute la chrétienté à cette Marie de Magdala ? Le fait qu’elle soit « repentie » n’est pas une cause suffisante et il faut bien reconnaître que le personnage recouvre à lui tout seul une des images de la Déesse des Commencements, autrement dit la Prostituée sacrée telle qu’on pouvait la rencontrer dans les temples du Proche-Orient, à Éphèse en particulier, mais également dans la ville de Magdala, grand centre d’un culte de la femme divine. L’inconscient collectif a reconnu en elle cette image de la Vierge prostituée et, dans un cadre strictement chrétien, elle est devenue « sainte » Madeleine. Comment justifier autrement cette magnifique basilique romane de Vézelay (Yonne) qui restera l’un des chefs-d’œuvre de l’architecture sacrée ? Comment expliquer l’acharnement de l’abbé Saunière, à Rennes-le-Château (Aude), lequel a restauré son église de façon à la mettre partout à la place de la Vierge Marie, et qui a fait construire une villa « Béthanie » et une tour « Magdala » dans le but d’y constituer une bibliothèque ? Et cela sans parler de cette horrible église parisienne du XVIII e siècle qu’on appelle couramment « la Madeleine ». Il fallait bien que la Magdaléenne exerçât un réel pouvoir sur l’imaginaire chrétien populaire pour qu’on honorât ainsi une femme que la tradition officielle considère comme une dévoyée, certes remise dans le bon chemin, mais cependant entachée de tous les vices – en l’occurrence de ce que la Bible appelle la prostitution, en fait le culte d’une divinité féminine 70 .
De toute évidence, c’est parce que la Magdaléenne correspondait à une certaine image de la Déesse des Commencements qu’on l’a ainsi exaltée. À la pureté absolue de Marie, mère de Jésus, s’ajoute, dans une certaine mesure, l’ambiguïté de Marie de Magdala, dont on n’a pas oublié qu’elle était avant tout une femme avec toutes les faiblesses qui lui sont attachées et toute la sensualité, même
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