La grande déesse
sacrifices humains à une « Mère noire » nommée Sulevia ou Soulivia. Son sanctuaire se trouvait dans une caverne et c’est là que Zachée aurait déposé la statuette sculptée par saint Luc. On se trouve ici en pleine religion gallo-romaine. En effet, les Sulèves étaient des divinités féminines de la terre inculte et le nom de Sulevia indique clairement qu’il y avait dans cette région aride un culte à ces divinités sauvages. On raconte aussi que le village des Alysses, un peu plus loin sur les bords de l’Alzou, avait été fondé par une mystérieuse Dame qui continuait à rôder la nuit, notamment dans le lieu-dit « Combe-de-la-Dame ».
Cette mystérieuse Dame, vraisemblablement une déesse funéraire, une « reine noire », a certainement plus d’un lien avec la Vierge noire, qu’il s’agisse de Sulevia ou de toute autre divinité romaine ou celtique, protectrice des morts et gardienne des eaux sacrées. Autrefois, les années de sécheresse, les paysans d’alentour venaient chercher de l’eau à Rocamadour. Ils partaient en procession jusqu’aux sources de l’Ouysse, clergé en tête. Après de nombreuses prières, l’un des prêtres plongeait le pied de la croix processionnelle dans la source, et chacun repartait avec l’espoir que la pluie ferait bientôt son apparition. Il existe de nombreux rituels de ce genre un peu partout en France, notamment en Bretagne, rappelant que le culte marial ne peut jamais être séparé des antiques cultes des eaux : il y a toujours près du sanctuaire, ou à l’intérieur de celui-ci, un puits ou une source.
C’est encore le cas aux Sainte-Maries-de-la-Mer (Bouches-du-Rhône), l’un des plus étranges sites qui soient tant par les coutumes qui y sont attachées que par ses origines nettement mythologiques. En principe, ce n’est pas la Vierge Marie qui est ici honorée, mais les trois saintes femmes, Marie-Salomé, Marie-Jacobé et Marie-Madeleine. La légende raconte qu’après la mort du Christ, ces trois Maries, accompagnées de Lazare, auraient abordé en cet endroit et y auraient dressé un autel à la mère de Jésus, près duquel les deux premières Maries auraient fini leurs jours avec leur servante Sara la Noire. Cette légende semble une réplique de celle de Marie-Madeleine à Vézelay, qui ne remonte pas au-delà du XI e siècle, mais elle donnait autrefois un autre lieu de débarquement, Marseille. Or cette fable n’ayant pas eu d’écho dans la grande ville phocéenne et ayant abouti à l’embouchure du Rhône, elle se greffa sur des traditions locales et se développa rapidement, à tel point que le roi René, en 1448, fit pratiquer des fouilles sous l’autel de l’église : cela permit de découvrir une crypte, avec une source. L’archéologie, si primitive qu’elle fût, se trouvait en accord avec la tradition populaire.
En fait, le site des Saintes-Maries occupe l’emplacement d’une partie d’une antique ville fortifiée, priscum oppidum Râ , selon ce qu’en écrit le géographe Avienus, Ratis , selon les documents ecclésiastiques d’Arles. On serait tenté de voir dans ce nom de Râ celui du disque solaire divin tel que l’ont adoré les Égyptiens, d’autant plus que les Saintes-Maries sont devenues le lieu privilégié d’un étrange pèlerinage des Gitans. Mais il serait plus sage de se référer au mot latin ratis , qui signifie « radeau », allusion au débarquement des trois Maries, ou mieux encore au vieux mot celtique rads , « île boisée », que l’on retrouve dans le nom de la ville de Ratisbonne, la « forteresse boisée ». Quoi qu’il en soit, Râ a été une grande ville munie de fortifications sur les hauteurs pour protéger un port qui offrait, sur la route de l’ambre et de l’étain, le plus sûr et le plus rapide accès au centre de la Gaule. Qu’il y ait eu ici mélange de traditions orientales et de traditions celtiques ne pourra étonner personne.
Il ne reste de cette ville ancienne que le sommet de l’oppidum où se dresse l’église. Au nord de ce rocher, les alluvions ont rehaussé le sol et détourné les eaux. Au sud, la mer a rongé ou englouti le rivage. C’est une réalité historique et géologique, mais où plane un certain parfum de ville disparue, comme la ville bretonne d’Is. Jusqu’au XIII e siècle, l’église porta le nom de Notre-Dame-de-Ratis ; elle devint Notre-Dame-de-la-Mer. Mais la légende des trois Maries était tellement
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