La grande déesse
officiellement raison à Yves Nicolazic, reconnaissant de ce fait la réalité des apparitions et l’identification de la statue de sainte Anne.
Rien n’est pourtant plus douteux. La statue, jugée informe et grossière par les capucins d’Auray, lesquels en l’occurrence semblent bien avoir été les manipulateurs de l’opération, fut retaillée par eux de façon à donner l’impression d’une figuration chrétienne. On peut alors se demander s’il ne s’agissait pas tout simplement d’une Vénus ou d’une statue gallo-romaine comme on en a tant retrouvé sur le territoire breton et partout en France. Mais le fait est certain : les capucins d’Auray ont retaillé la statue avant qu’elle ne fût officiellement déclarée représenter sainte Anne, mère de la Vierge Marie. Il est évidemment impossible de vérifier quoi que ce soit à ce sujet, puisque cette statue a été brûlée pendant la Révolution et qu’il n’en subsiste qu’un fragment infime qui a été encastrée dans la statue actuelle.
Il y a autre chose à considérer : le nom du village, Keranna . Cela incitait bien sûr à penser qu’une statue retrouvée à cet endroit ne pouvait être qu’une représentation de sainte Anne. D’après les paroles prononcées par la dame blanche, selon Nicolazic, il aurait existé en cet endroit, au VIII e siècle, une chapelle dédiée à sainte Anne. Pourquoi pas ? Quelques années avant la découverte de Nicolazic, il y avait eu une autre découverte de ce genre à Commana (Finistère) : on avait extrait du sol non seulement une statuette, également informe, mais aussi une auge de pierre. Et le nom de Commana (« auge » ou « creux » d’Anne) prédisposait évidemment à voir une statue de sainte Anne. Pourquoi n’en aurait-il pas été de même à Keranna ?
Ce qui est surprenant dans tout cela, c’est que le culte de sainte Anne, dont les Évangiles canoniques ne disent rien et ne citent même pas le nom, ne s’est développé en Occident qu’à partir du XIV e siècle. On est obligé de mettre en doute l’existence d’un sanctuaire dédié à sainte Anne et d’une statue la représentant en l’an 701. Ce n’est qu’en 1382 que, sous cette appellation de « sainte Anne », la mère de Marie fit son entrée dans le calendrier officiel romain, et sa fête liturgique le 26 juillet ne fut instaurée qu’en 1584. Ce sont des faits et non des hypothèses. Alors, quelle est donc cette mystérieuse dame blanche qui est apparue à Yves Nicolazic et qui prétendait être sainte Anne ?
Quelle que soit l’authenticité de la vision de Nicolazic, il faut bien reconnaître que le thème de la « dame blanche » se réfère aux plus lointaines mythologies et qu’il est repérable un peu partout dans les traditions populaires locales de l’Europe occidentale. Mais, en Bretagne, comme dans tous les pays celtiques, il prend une coloration très particulière, due au fait qu’il existe, dans la tradition celtique, un personnage de divinité mère qui porte le nom d’Anna, ou Ana, ou Dana et même Dôn au pays de Galles. Dans ces conditions, on peut logiquement supposer qu’à l’emplacement de Keranna (et, partant, de Commana), il existait un sanctuaire gallo-romain dédié à cette Déesse des Commencements. Le fait n’a rien d’impossible, car le champ du Bocenno était situé juste à proximité de la voie romaine d’Angers-Nantes à Quimper. Or, on sait que les sanctuaires de cette époque étaient toujours édifiés auprès des voies de communication.
Ce n’est pas seulement une vague homophonie qui provoque cette assimilation de la « sainte » Anne, parfaitement hypothétique, du christianisme avec l’antique Anna des Celtes. On trouve en effet dans les généalogies galloises – qui appartiennent à la même tradition originelle que celle des Bretons armoricains – de très curieux renseignements sur ce point. Comme partout, les personnages historiques ont voulu faire remonter leur famille à des personnages mythologiques ou divins, voire à des saints dans le cadre chrétien. L’une de ces généalogies, qui figure dans un manuscrit du X e siècle, donne comme ancêtre à un certain Owen, chef d’une partie du pays de Galles, Aballac map Amalech qui fuit Beli magni filius, et Anna mater eius, quam dicunt esse consobrinam Mariae Virginis, matris domini Jessu Christi , ce qui veut dire : « Aballac, fils d’Amalech qui fut le grand fils de
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