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La grande déesse

La grande déesse

Titel: La grande déesse Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Markale
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Beli, et Anna, qu’on dit être cousine [ou grand-mère, le terme latin médiéval consobrina ayant les deux sens] de la Vierge Marie, mère de Notre-Seigneur Jésus-Christ. » Et ce n’est pas un exemple isolé, car on retrouve dans la généalogie d’un certain Morcant toute une lignée qui remonte à Aballach map Beli et Anna , autrement dit « Aballach [nom gallois de l’île d’Avalon] fils de Beli et d’Anna ». Et quand on sait que Beli, l’ancêtre mythique des Bretons, n’est autre que le dieu de lumière des anciens Celtes, celui qui est souvent appelé Belenos, le « brillant », on ne peut manquer d’être assez étonné. Une conclusion s’impose : dans la tradition brittonique (c’est-à-dire bretonne armoricaine et galloise), celle qui est devenue ensuite « sainte » Anne était non seulement la grand-mère de Jésus, mais l’ancêtre des Bretons. Et celle-ci ne pouvait être que la Dana irlandaise, mère de tous les dieux, ou la Dôn galloise, dont les enfants occupent une grande place dans la tradition mythologique, ou encore, si l’on va plus loin, l’Anna Parenna des Romains ou l’Anna Pourna des Indiens, cristallisation de tous les concepts concernant la Mère pourvoyeuse, la Déesse des Commencements qui donne la vie et nourrit ceux qui sont issus de son sein.
    Que reste-t-il de cette notion archaïque dans le « ce qui va de soi » observé actuellement à Sainte-Anne-d’Auray ? Assurément, beaucoup de choses, mais dans le domaine de l’inconscient. La piété populaire se moque des analyses subtiles. Cette piété est vécue dans un quotidien que nul ne songerait à nier. La plupart des familles bretonnes, en cette fin de XX e  siècle, ont une statue de la bonne sainte Anne dans leur maison, même si certains membres de ces familles se permettent des attitudes frôlant le scepticisme. Comme les Irlandais qui considèrent sainte Brigitte, la mystérieuse Brigit de Kildare, elle aussi mère des dieux d’Irlande sous ses diverses appellations, les Bretons savent que leur protectrice et leur mère ne peut être que sainte Anne. Par-delà le temps et l’espace, par-delà les vicissitudes des religions, la croyance en la Mère divine s’est maintenue. Elle prend ici le visage de cette « bonne » grand-mère, celle que chacun garde au fond de lui-même dans son jardin secret. Mais on n’oublie pas qu’elle est également la mère des Anaons , c’est-à-dire les Trépassés. Déesse des morts comme des vivants, Anne ne pouvait mieux représenter la sourde angoisse qui tord les entrailles de l’humanité en quête de son identité.
    Ce caractère funéraire évoque évidemment les représentations de la Déesse tutélaire sur les supports des cairns mégalithiques, celle qu’on appelle parfois l’idole en forme d’écusson, ou encore celle qui est stylisée en tête de chouette, veillant perpétuellement dans l’obscurité des tertres. Mais ce concept n’appartient pas seulement à un lointain passé, il est parfaitement contemporain. Sur le versant occidental de la forêt de Réno, à La Chapelle-Montligeon (Orne), se dresse une immense église bâtie au début de ce siècle en forme de cathédrale gothique. Cette église, une basilique d’ailleurs, est le siège d’une « œuvre expiatoire » dont les membres s’engagent à prier pour les âmes les plus délaissées du purgatoire, ces âmes anonymes qui somnolent en un lieu imprécis que les épopées mythologiques décrivent avec tant de pittoresque. La fondation de cette œuvre est due à un prêtre percheron qui mena une vie pieuse et exemplaire, l’abbé Guguet. Et celui-ci a laissé une curieuse relation des circonstances qui l’ont amené à se consacrer à cet amour désintéressé des autres. Voici ce qu’il raconte : « Depuis longtemps, j’aimais à célébrer la messe, le lundi, pour l’âme la plus délaissée du purgatoire […]. En mai 1884, une personne que je ne connaissais pas vint me demander de célébrer une messe à ses intentions. Son visage indiquait qu’elle était d’un âge d’environ cinquante ans ; elle était alors vêtue modestement, portant le costume d’une femme du peuple ; son air inspirait respect et confiance. Huit jours après, à cette messe que je célébrais selon sa demande et selon ses intentions à huit heures et au jour indiqué, je fus surpris de la voir au bas de l’église, vêtue d’une robe bleu ciel et la tête couverte d’un long voile

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