La grande déesse
supposé un seul instant que le monde et les êtres qui le peuplent pouvaient avoir été générés par un dieu mâle. Si le Yahveh hébraïque apparaît comme un Père tout-puissant très solitaire, c’est, semble-t-il, au terme d’une longue lutte idéologique débouchant sur la primauté du mâle. Mais l’analyse en profondeur de la Genèse fait apparaître des spéculations plus ou moins occultées qui rejoignent celles des autres traditions : à défaut d’une divinité féminine originelle, toutes les théogonies et toutes les cosmogonies font allusion à un être primordial ambigu. Le texte de la Genèse concernant la création d’Adam et Ève, du moins la première version, dit clairement que l’être humain a été créé à l’image de Dieu, à la fois mâle et femelle . C’est bien après qu’intervient la sexualisation, c’est-à-dire, au sens étymologique, la coupure , entre l’élément masculin et l’élément féminin, chacun de ces deux éléments étant confiné dans une fonction déterminée au sein d’un univers qui repose sur l’opposition de deux contraires, pourtant unis par un troisième terme qui ne peut être que l’énergie divine.
Il y a donc, dans la représentation des divinités, et cela depuis l’apparition de l’art, une sorte de lutte farouche entre les partisans d’un dieu mâle et d’une déesse femelle. Ce n’est qu’une querelle métaphysique qui, si elle a pris beaucoup d’importance au cours des âges à cause des incompréhensions et des intolérances, n’en est pas moins résolue d’avance par toutes les traditions, y compris celle des Hébreux. Cette Vierge Sagesse de Salomon n’est que la partie féminine de Dieu. Mais sans elle, rien n’existerait. Dans la tradition égyptienne, le dieu primordial, Atoum, se masturbe peut-être afin de cracher les deux éléments divins et désormais sexués qui vont créer le concret. La séparation est accomplie en dehors du chaos primordial, en dehors du tohu-bohu des origines, en dehors de ce que les théologiens appellent l’ incréé , ou encore l’ indifférencié . Pourquoi cette sexualisation de l’être ? Personne n’est capable de l’expliquer, ni même de la justifier métaphysiquement. Mais comme elle est, il faut bien l’admettre et en tirer les conclusions qui s’imposent : aucune vie n’est possible sans la femme. Il est d’ailleurs probable que, dans les temps les plus primitifs de l’humanité, les mâles n’avaient sans doute pas conscience de leur rôle dans la fécondation. D’où cette exaltation de la féminité divine, puis, par réaction, la mise à l’écart de la féminité au profit d’une masculinité agressive et triomphante ayant pris conscience de sa nécessité.
La chronologie n’a cependant rien à voir avec une quelconque et discutable évolution de l’art. Le réalisme et l’abstraction se sont toujours succédé à intervalles plus ou moins longs et parfois dans un même cadre idéologique : en ce domaine, il n’y aucune autre règle que celle de l’efficacité. L’œuvre d’art, dont le contenu religieux est toujours incontestable, traduit en formes plastiques une réflexion métaphysique, et son expression est fonction d’une mode, celle-ci correspondant aux critères d’une société parvenue à un certain état dans certaines circonstances qui doivent autant au contexte géographique qu’au contexte historique. Les territoires qui constituent la France actuelle ont, depuis le paléolithique supérieur, subi de constantes mutations dues aux conditions de vie et aux influences venues de l’extérieur. Mais les autres pays d’Europe ont connu des mutations parallèles et qui ne sont pas forcément identiques. Et, à plus forte raison, il en est de même pour les territoires situés en dehors de l’Europe. Ainsi apparaissent des formulations spécifiques innombrables qui ne sont que les multiples aspects d’une unique réalité. La Déesse des Commencements a autant de visages qu’elle a de noms à travers le monde.
Le continent indien
Depuis qu’ont été mises en évidence les origines socioculturelles communes des peuples dits indo-européens, il est évidemment très tentant d’aller chercher en Inde les représentations de la déesse mère qui pourraient être les plus proches de celles qu’on connaît en France. Elles ne manquent pas, mais d’une part elles ne sont pas les plus anciennes, et d’autre part elles ne sont pas
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