La grande déesse
l’ancienne déesse terre des époques préaryennes, ou encore Satî, qui périt dans un feu sacrificiel mais dont Shiva conserva le corps jusqu’à ce qu’il tombât en poussière. De cette poussière, la Déesse put renaître sous des formes rajeunies, car les métamorphoses des divinités sont autant de symboles pour mettre en évidence une action créatrice qui n’est jamais achevée et qui se perpétue quelle que soit la situation de la société dans laquelle on se trouve.
Si l’image de Pârvatî est liée à l’amour et à la sexualité mystique, celles de deux autres formes de la Déesse, Durgâ et Kâli, sont terrifiantes et sanguinaires. Ce sont pourtant les images de la déesse mère les plus répandues dans tout le continent indien. Il est intéressant de constater le passage de l’aspect purement positif de la Dévî, connue sous le nom de Savasvatî, celle qui, selon le Rig-Véda , « éveille dans la conscience le grand flot et illumine toutes les pensées », à celui de la terrible Durgâ ou de la sanguinaire Kâli, cette dernière ayant donné d’ailleurs son nom à la plus grande ville de l’Inde, à savoir Calcutta.
Sur ce passage, la mythologie raconte que Durgâ fut créée par les dieux pour lutter contre le démon-buffle Mahishâshura qui usurpait leurs pouvoirs. La fonction primitive de Durgâ était donc de rétablir l’équilibre dans un monde menacé par un monstre : elle était donc vue sous son aspect positif, comme une bonne mère de famille qui protège ses enfants. Mais en terrassant le monstre, elle faisait acte de violence, et elle devint très vite une sorte de déesse guerrière analogue à la Maeve ou à la Morrigane des Irlandais, plus sorcière infernale que gardienne des célestes séjours.
Dans l’iconographie populaire, cette Durgâ, incarnation d’une divinité ambivalente, est représentée la plupart du temps avec un teint très pâle et de multiples bras, parfois dix, symbolisant son inlassable activité. On la voit également chevauchant un lion lorsqu’elle combat le démon-buffle : elle est donc déesse des animaux sauvages, comme l’était la primitive Artémis des Grecs, avant de devenir un pâle reflet lunaire. Mais, sous son aspect de Durgâ, la Déesse n’offre jamais un visage terrifiant : c’est sous son aspect de Kâli qu’elle prend les formes les plus effrayantes, les plus fantastiques et les plus sanguinaires.
On l’appelle couramment « Kâli la Noire », bien qu’elle soit très souvent représentée avec un corps bleu et de multiples bras. Sa caractéristique essentielle est une longue langue rouge, comme recouverte du sang des victimes qu’elle vient de dévorer, et si son visage reflète souvent une certaine sérénité, ses yeux injectés de sang témoignent de la cruauté qu’on lui prête : d’ailleurs, on prend soin de l’orner d’un collier ou d’une ceinture auxquels pendent des têtes humaines coupées, monstrueux trophées qu’elle se plaît à montrer à ses fidèles. Il est très probable qu’à l’origine, Kâli était une divinité dravidienne, venant du sud de l’Inde, et qui, une fois assimilée dans la théologie indo-aryenne, s’est revêtue de tous les aspects d’une déesse mère, certes cruelle, mais profondément juste envers tous ses enfants. Elle est d’ailleurs considérée comme hors caste, donc intouchable : on la fait rôder autour des charniers et on la montre se repaissant de sang humain, comme un vampire. En fait, il s’agit bel et bien d’une déesse-vampire : quand elle s’unit à Shiva, c’est essentiellement pour soutirer à celui-ci son énergie vitale afin de projeter dans le monde ses créatures. Mais quand l’union est terminée, Kâli chevauche triomphalement Shiva allongé sur le sol, affirmant ainsi la supériorité du principe féminin sur le masculin. Et, malgré cette férocité, cette sauvagerie sanguinaire, Kâli est certainement la divinité la plus populaire et la plus honorée dans tout le continent indien, jusqu’à devenir, sous la plume de certains poètes, la « sainte mère ».
Il n’y a rien de surprenant à cela : l’Inde a toujours fait se côtoyer avec une extraordinaire familiarité la vie et la mort, le positif et le négatif, et il semble bien que les Occidentaux n’aient pas compris cette démarche qui consiste à faire naître la vie de la mort. Kâli représente en effet ce qu’en alchimie on appelle le stade de la « tête de
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