La grande déesse
corbeau » : il s’agit de la « pierre au noir », c’est-à-dire de la dissolution, étape importante dans la restructuration de la matière première pour parvenir à l’élaboration de la pierre philosophale. Tout se passe, en Inde, comme si l’être humain avait conscience de cette permanente transformation des êtres et des choses qui, à travers le cycle des réincarnations, conduit le vivant à sa plénitude et non, comme l’enseigne le bouddhisme, à sa néantisation dans un nirvâna d’ailleurs très mal conceptualisé. La religion hindoue, ou plus exactement les multiples religions qui se réclament d’une tradition védique, sont essentiellement une glorification de la vie à travers ses métamorphoses. Dans ces conditions, Kâli la Noire ne peut être que la meilleure façon de représenter aussi bien visuellement que métaphysiquement la création permanente opérée par les forces supérieures qu’on appelle divines. Et cela, quels que soient les abus provoqués par une telle conception. Kâli la Noire n’est pas une meurtrière assoiffée de sang, mais l’image de la nature naturante qui sans cesse remodèle les êtres vivants pour les conduire à leur perfection . Kâli est certainement ce que l’on pourrait appeler « Notre-Dame de la Nuit » : mais, de même que chez les Celtes, la vie surgit de la nuit, comme l’Être surgit du non-Être. Cette notion appartient au fonds indo-européen primitif, et plus que jamais Kali la Noire est une des images de la Déesse des Commencements, celle qui est avant et qui est aussi après, éternelle créatrice des êtres et des choses.
L’Extrême-Orient
Les pays d’Asie extrême-orientale sont si marqués par le bouddhisme et divers courants philosophiques qu’il est difficile de discerner quelle pouvait être, dans les temps primitifs, l’image de la Grande Déesse. Au Japon, la déesse Amateratsu semble bien éclipsée par les innombrables déités qui ne sont pas des divinités mais des projections de l’inconscient humain. Pourtant, à étudier les vestiges des anciennes religions de l’Extrême-Orient, on peut prétendre qu’il y a eu, un peu partout, en Chine, en Corée et au Japon, voire en Sibérie orientale, un culte à une déesse Soleil, cette Amateratsu qui, sous ses couleurs asiatiques, ressemble fort aux divinités solaires de l’Occident, toutes féminines à l’origine. On peut alors se demander si, comme le prétendent certains anthropologues, les Aïnous du nord du Japon ne seraient pas de cette culture indo-européenne qui se serait répandue, au cours du 1 er millénaire avant notre ère, à travers la grande plaine euro-asiatique, à partir de ce qui est maintenant un désert (celui des Tartares, celui de Gobi) et qui était, on en a maintenant la certitude, un pays fertile, base probable de cette civilisation.
Mais quel que soit le nom donné à la Déesse des Commencements, elle est incontestablement liée au concept de fécondité et représentée très tôt dans les arts plastiques du Japon. Une statuette d’argile de la période de Jomon moyenne (vers la fin du II e millénaire avant notre ère), actuellement conservée au musée d’Art oriental de Rome, en témoigne avec précision : il s’agit d’une représentation très voisine de ces Vénus européennes du paléolithique, avec cette différence que la tête est fort bien marquée, de façon très réaliste. Elle appartient à une époque intermédiaire entre le paléolithique – qui a duré plus longtemps au Japon – et le néolithique, car les objets découverts au cours des fouilles archéologiques concernant la culture Jomon font apparaître une pratique évidente, mais encore rudimentaire, de l’agriculture et de l’élevage. La Déesse des Commencements est donc non seulement la mère du monde, mais la nourricière des êtres vivants, animaux autant que végétaux et humains. C’est la protectrice de toute vie, celle qui ne fait jamais défaut.
Il faut aussi compter avec les influences chinoises et coréennes qui ont conditionné en grande partie l’approche à la fois métaphysique et artistique des anciens Japonais. La civilisation chinoise est l’une des plus éloignées dans le temps qu’il soit possible d’analyser et de repérer. Sa complexité n’en facilité guère la compréhension, d’autant plus qu’il est parfois difficile de discerner ce qui est proprement chinois de ce qui est coréen, mongol, voire thaï
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