La grande déesse
dialogue avec le Noun et accentue sa distinction du magma informel en le nommant ». C’est par le Verbe que la création s’accomplit dans un processus qui, une fois enclenché, ne peut plus s’interrompre. Et la Sagesse divine, face féminine d’un Créateur indifférencié et asexué, apparaît. Car cette Sagesse n’est pas seulement connaissance, elle est aussi beauté, harmonie, fécondité, et sans elle rien n’aurait d’existence, puisque l’existence suppose une naissance hors de l’incréé par une sorte de parturition à l’échelle cosmique. Alors apparaîtra le couple primordial Tefnout (ou Maât) et son frère Shou, qui sont les formes prises par l’incréé au moment de la création. La Bible rend compte de cette création en présentant cette Vierge Sagesse précédant toute l’organisation du cosmos.
Mais c’est également un thème qui sera abondamment exploité par les gnostiques : on reconnaît en effet dans cette Sagesse chantée par Salomon la Pistis Sophia qui réapparaîtra dans toutes les spéculations du début de l’ère chrétienne et qui sera franchement adoptée sous le nom de « sainte Sophie » lorsqu’il s’agira de construire à Constantinople, capitale de l’empire d’Orient, la plus grande basilique de la chrétienté. Cette « sainte » Sophie n’est autre que la Vierge des Vierges, la « Vierge de partout », celle qui précède toute vie et toute connaissance parce qu’elle en est la cause immédiate.
Il est bien évident que, partout dans le monde, on a ressenti la nécessité de représenter cette Déesse des Commencements par une image maternelle, même la plus simple possible, celle qui évoque seulement la fonction, comme ce fabuleux petit objet en ivoire du paléolithique supérieur (du gravettien exactement) retrouvé en Moravie, à Dolni Vestonice : il s’agit de deux seins très reconnaissables autour d’un axe qui se termine par une pointe évoquant le cou. La tête est absente, le ventre et le sexe également, mais l’insistance mise sur les deux seins fait de cette représentation l’image même de la mère qui nourrit ses enfants. Terre mère ou Vierge mère d’ordre spirituel ? Peu importe : le concept n’a pas besoin d’explication plus détaillée car il concerne l’humanité entière, et l’on en trouvera l’équivalent dans le mythe indien du « barattement de la mer de lait ».
Il est remarquable que, dès l’apparition des objets d’art – qui sont en même temps des objets de culte religieux et des objets de méditation –, se manifeste ainsi une tendance qui, partant du symbole, pourra aller jusqu’à l’abstraction la plus pure. D’ailleurs, même si la représentation demeure réaliste, le seul fait d’insister sur un détail plutôt que sur un autre, ou encore d’exagérer tel ou tel trait, marque bien cette volonté d’imposer une valeur symbolique au concret dans le but vraisemblable d’offrir matière à réflexion. Cela est vrai dans cette célèbre Vénus de Willendorf, découverte en Autriche, qui date du paléolithique supérieur, et qui est de même nature et de même facture que la non moins célèbre Vénus de Lespugue découverte en France. Il s’agit là d’un véritable « discours » sur le mystère de la femme : ses seins, son ventre, ses fesses étant présentés de façon démesurée, on est bien obligé de se poser des questions sur le problème de la procréation et de reconnaître que la femme est le seul être humain à posséder cette fonction autant divine que magique, donc inquiétante, mais vénérable, pour ne pas dire adorable.
Les sculpteurs et peintres du paléolithique semblent s’être complu dans une certaine exaltation du « monstrueux » – et non pas du « monstre » comme au Moyen Âge – comme pour attirer l’attention sur le caractère exceptionnel d’un être ou d’une fonction attribuée à cet être. Ils savaient fort bien, tous les exemples archéologiques le prouvent, représenter la forme humaine ou animale de la façon la plus réaliste qui soit. S’ils ont outré leurs représentations, c’est qu’ils avaient quelque chose de plus à dire, un message à transmettre. À cet égard, le groupe des Vénus, celle de Lespugue, celle de Willendorf, celle de Grimaldi en Italie, constitue le plus précis et le plus ancien témoignage de l’intérêt porté par les humains au problème de la création : de toute évidence, ils n’ont pas
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