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La grande déesse

La grande déesse

Titel: La grande déesse Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Markale
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forcément indo-européennes, tant le mélange des anciens Aryâs, venus de l’Asie centrale, et des populations aborigènes du continent indien a été profond et fructueux. À vrai dire, la synthèse opérée entre les traditions dravidiennes du Sud et les traditions importées par les Aryâs s’est faite également par l’intermédiaire de cette mystérieuse civilisation de l’Indus. Celle-ci caractérise la plaine indo-gangétique, et a été une sorte de creuset dans lequel s’est fondue cette civilisation qu’on appelle indienne, marquée autant par le bouddhisme, relativement récent, que par les diverses religions dites hindouistes auxquelles se mêlent de nombreuses adaptations locales, sans compter un chamanisme toujours très présent dans les mentalités et les usages. Mais en dépit de cet incroyable melting-pot, la figure de la déesse mère surgit de la plus haute Antiquité, traversant allègrement les âges, considérée essentiellement comme la « Pourvoyeuse », celle qui a donné son nom à la montagne de l’Anapurna, puisque cette appellation signifie « Anna la Pourvoyeuse », exactement comme l’« Anna Parenna » des premiers temps de Rome. C’est en effet elle qui donne la vie à l’Inde en lui infusant les eaux du Gange et de l’Indus sans lesquelles le pays ne serait qu’un vaste désert.
    Mais c’est une déesse mère à l’ancienne, c’est-à-dire parfaitement ambivalente, dispensatrice à la fois de la vie et de la mort, nourricière et destructrice, donnant naissance à de nombreux enfants, mais s’acharnant à les dévorer. La Déesse est évidemment le reflet de ce continent plein de contrastes et de paradoxes où la vie ne tient que par l’équilibre, constamment menacé, de deux forces antagonistes, le feu et l’eau, la sécheresse et l’inondation, sans qu’on puisse dire que l’une est bonne et l’autre mauvaise. L’un des mythes fondateurs de l’hindouisme nous montre l’être divin mâle immolé, découpé et enterré dans la terre pour la féconder. Car c’est la Terre qui est la Mère : elle donne naissance, bien sûr, mais elle reprend en elle ce qu’elle a donné dans un processus cyclique incessant.
    Cette ambivalence n’est pas réservée à la Déesse. Shiva, le grand dieu des Indiens, est lui aussi créateur et destructeur, ascète et maître de l’érotisme. Mais il est un dieu révélé , incarné dans un monde relatif, et donc sexué. À lui seul, il ne peut régir la complexité du monde : voilà pourquoi on lui adjoint une forme féminine, la Dévî, elle-même parfaitement ambiguë avec ses différents noms : elle est Sati la Paisible, ou Pârvatî, la compagne et parèdre de Shiva la plus connue, lorsqu’elle est considérée sous son aspect positif, mais aussi Durgâ ou Kâli la Noire, lorsque la polarité est inversée. Et si les statuettes de terre cuite du II e  millénaire avant notre ère, c’est-à-dire aux époques préaryennes, représentent toutes des femmes de bon aspect, richement vêtues, évoquant toutes la richesse, l’abondance et la bonté, les figurations qui suivent l’arrivée des Aryâs sont beaucoup plus complexes et beaucoup moins paisibles. Car même Pârvatî a quelque chose d’inquiétant lorsqu’elle évoque la fureur amoureuse. L’un des lieux consacrés à cette Pârvatî est une vallée qui porte son nom, près de Kulu, dans l’Himachal Pradesh, non loin des sources d’eaux chaudes de Manikaran. La légende locale raconte que Shiva y fît l’amour pendant dix mille ans avec Pârvatî. Puis, ayant médité ensuite pendant dix mille autres années, il fut fort satisfait et réchauffa les rochers avoisinants pour le bien-être de tous ceux qui viendraient là en pèlerinage. Mais le nom de Manikaran provient d’une autre légende selon laquelle Pârvatî avait perdu un joyau ( mani ) qui fut retrouvé par Shiva et jeté par lui dans une cascade d’eau chaude.
    Cependant, l’union charnelle de Shiva et de Pârvatî est devenue le symbole même de l’initiation tantrique : la Déesse est non seulement la Grande Mère qui donne la vie et qui nourrit ses enfants, elle est aussi shakti , énergie, cette énergie divine d’essence féminine qui est indispensable à tout dieu mâle pour agir sur le monde. C’est d’ailleurs pourquoi, dans de nombreux mythes, la Dévî indifférenciée devient l’épouse de tous les dieux du panthéon indien. Car cette Dévî est également Bhû,

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