La grande guerre chimique : 1914-1918
guerre
chimique. De fait, au lendemain de l’attaque chimique allemande du 22 avril
dans la région d’Ypres, une vive polémique éclata entre la France et l’Allemagne,
les deux protagonistes, chacune rejetant sur l’autre la responsabilité du
déclenchement des hostilités chimiques. L’argumentation allemande reposait sur
l’existence d’une notice française datée du 21 février 1915, dans
laquelle étaient données les instructions relatives à l’emploi de grenades et
de cartouches suffocantes. S’agissait-il de la part du gouvernement allemand d’une
tentative maladroite destinée à détourner la réprobation internationale qui s’abattait
sur le pays au lendemain de l’attaque de Langemarck ou bien, au contraire, d’un
argument légitime étayé par des preuves matérielles convaincantes ? L’histoire
« officielle » a consacré la culpabilité du Reich et la thèse
généralement admise veut donc que l’Allemagne ait initié cette forme de guerre.
Pourtant, par-delà ce qui semble une certitude, il conviendra d’examiner les
faits avec attention.
Assurément, l’arme chimique n’est pas une arme comme les
autres. Par-delà l’apparente évidence se cache une réalité complexe qui
recouvre des dimensions scientifique, militaire mais également sociologique.
Ces armes présentent en effet des caractéristiques polémologiques singulières :
leur étude nous mène aux confins de la science, de la technologie, de la morale
et du droit. Peut-être faut-il trouver dans ce caractère interdisciplinaire et
polymorphe les facteurs qui ont suscité les réticences des historiens à se
pencher sur cette forme si particulière de la guerre. Les armes chimiques
provoquent chez chacun d’entre nous, et sans que nous puissions véritablement
formaliser nos impressions, un très fort sentiment d’aversion. Et, de fait, l’utilisation
des gaz de combat n’est pas admise comme peut l’être celle des obus conventionnels
dont les effets sont semblables, si ce n’est supérieurs, dans l’horreur. En
1915, lors de l’apparition des nuées délétères, de nombreux officiers français
employèrent à leur égard l’expression « d’armes déloyales ». Est-il
plus déloyal, cependant, de tuer en déchiquetant les chairs par des obus
explosifs que de le faire avec du phosgène [7] ? Les souffrances
infligées par les armes sont égales sur l’échelle de l’horreur. Il n’est pas
possible, à mon sens, d’humaniser l’acte de donner la mort sur un champ de
bataille. Qu’on ne me fasse pas ici de faux procès, je ne prétends pas que les
gaz sont la plus douce façon de tuer, bien au contraire, et chacun doit se
réjouir de voir entrer en vigueur la convention d’interdiction des armes
chimiques [8] .
Mon propos consiste à souligner le caractère particulier de cette arme dans la
psychologie collective qui, me semble-t-il, est à l’origine de multiples
erreurs qui affectent la représentation historique de cet épisode de la Grande
Guerre tant et si bien que, au fil des ans, s’est édifié un mythe de l’arme
chimique. Cette altération est nettement perceptible dans les diverses
représentations artistiques de la Grande Guerre, qu’elles soient littéraires ou
picturales, qui donnent des hostilités chimiques une vision d’apocalypse [9] .
Il est également frappant de constater que cette légende « noire »
de la guerre chimique est à l’origine des distorsions, sources d’erreurs
historiques parfois grossières, dont un grand nombre de publications et d’études
ont, jusqu’à nos jours, perpétué les approximations. Cette situation a d’autant
plus prospéré que les travaux universitaires consacrés à cet aspect de la
guerre sont fort réduits, pour ne pas dire inexistants. De nombreux auteurs se
contentèrent de reprendre les conclusions de recherches menées dans l’immédiat
après-guerre et qui étaient encore marquées par l’antagonisme des parties au
récent conflit ; recherches dont les conclusions flattaient bien souvent
la nation dont l’auteur était originaire. La première contribution majeure
consacrée à la guerre chimique fut l’œuvre de M. Vinet, qui, en 1919, dans
un article publié dans la revue Chimie et industrie, détailla assez
fidèlement l’organisation et les principales réalisations des services français
de guerre chimique [10] .
Malheureusement, M. Vinet ne traitait que des aspects défensifs et, outre
la dithyrambe
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