La grande vadrouille
assez !, mettant dans cette distinction une nuance péjorative.
Augustin bondit sous le fouet de l’injure et, tourné vers l’intérieur de l’appartement il lança à la cantonade :
— Tais-toi ! Y a du monde, eh ! morose !
— Je m’en fous ! Eh, sinistre ! cria Juliette.
Les Allemands, indifférents à ce bel assortiment d’invectives conjugales, fouillaient les tiroirs et les placards du petit vestibule.
Augustin, s’approchant du feldwebel, lui dit courtoisement :
— Faites votre travail, Monsieur, et surtout, excusez ma femme, elle est nerveuse, vu son état…
Et comme le sous-officier roulait des yeux ronds interrogatifs :
— Quatre mois, dit-il en baissant pudiquement la tête. Paraît que ça tape sur les nerfs… Dites-moi, monsieur l’Officier, est-ce que c’est pareil dans votre pays ?
Le feldwebel leva les yeux au ciel. Lui aussi devait souffrir, dans sa vie civile, d’une femme acariâtre à grossesses répétées !
— Vous avez de la chance ! s’épancha Augustin avec aménité, au moins, votre femme à vous, elle est loin !…
Le feldwebel se ferma comme une huître ne voulant pas médire d’une épouse allemande devant un français de race imprécise.
Les soldats mettaient l’appartement sens dessus dessous, visitant tous les coins. Juliette sortit de la salle d’eau en combinaison légère et transparente, et toujours frémissante de colère.
Devant cette apparition de la « Parisienne », le travail des Allemands cessa aussitôt, plus rapidement que sur un ordre personnel d’Hitler. Ils détaillaient la jeune femme avec des yeux de gros mangeurs qui seraient au régime hypocalorique devant un repas hyper.
Le sous-officier dut intervenir avec vigueur pour que la besogne reprît.
Juliette, malicieuse et habile, faisait semblant d’être en proie à une grande fureur. Elle s’approcha de l’armoire du living-room sur laquelle étaient perchées des valises. Elle luttait des pieds et des mains pour atteindre ces bagages, se cambrant à souhait.
— Je fous le camp ! vociféra-t-elle.
Devant ces efforts charmants, ces gracieux bras tendus, ces jambes rondes sur la pointe de ces jolis pieds, les soldats abandonnèrent leurs recherches afin d’aider cette madame française si jeune et si charmante.
Les valises furent descendues avec cette efficacité bien connue de l’Armée Allemande dès qu’elle entreprend une manœuvre quelconque : percée de Sedan ou porte-bagages.
— Merci, messieurs ! dit Juliette le visage éclairé d’un sourire humide, affolant.
Et changeant aussitôt d’expression, elle déclara exaspérée :
— Je ne resterai pas une minute de plus avec ce bon à rien, qui me trompe et qui m’accuse, moi, d’être infidèle ! Eh ! Cocu républicain !
Le feldwebel jeta vers Augustin un regard sévère. Le peintre en bâtiments en frémit. « Républicain » ? Elle allait trop loin ! On embarquait des gens pour moins que ça. Il fit à Juliette, des yeux, un appel désespéré, et en appuyant sur chaque mot :
— Tu vas fort ! Républicain ! Je suis d’extrême droite ! Fasciste que je suis ! Et tu ne te rends pas compte que tu te donnes en spectacle ! Un peu de discrétion !
Les Allemands pénétraient dans la cuisine. Un bref regard d’une mortelle inquiétude voyagea comme l’éclair entre Juliette et Augustin. Ils se lancèrent à la poursuite des soldats.
Augustin arriva le premier, et, ouvrant la grande porte de l’armoire à provision, dissimula ainsi par son battant, une petite fenêtre qui donnait sur la cage de l’ascenseur. Il soupira, un peu rassuré, et saisissant une bouteille, proposa aimablement au feldwebel :
— Un petit coup de rouquin, militaire ?
— Nein, répondit l’autre sans ménagements.
Il aurait accepté de boire en privé, mais pas devant ses hommes.
Augustin s’adossa à la porte qui cachait la petite fenêtre et avala un grand verre de vin rouge dont il ressentait, d’ailleurs, le plus urgent besoin.
Juliette, ne désirant pas que la perquisition se poursuivît dans un calme trop propice, se mit à brailler encore des sarcasmes à l’adresse du peintre :
— Du vin à dix heures du matin ! Ivrogne ! Poivrot ! Soûlographe ! Pochard ! Barrique à vinasse !
— Bougresse ! rétorqua Augustin.
Le feldwebel crut bon d’intervenir :
— Calmez, Madame ! dit-il à Juliette… Pas bon pour petit bébé !…
Juliette s’effondra sur
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