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La grande vadrouille

La grande vadrouille

Titel: La grande vadrouille Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Georges TABET , André TABET
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à fait naturel, répondit simplement Augustin en franglais.
    Ayant modestement baissé les yeux, il s’aperçut qu’il se trouvait toujours en caleçon.
    — Vous pourriez peut-être me rendre mon pantalon… maintenant, demanda-t-il timidement à Juliette.
    Elle rougit un peu et, grimpant sur un tabouret, elle dénicha le vêtement trop révélateur qu’elle avait dissimulé derrière le chauffe-eau.
    Augustin se sentait gauche et emprunté en face de la jeune fille. Il connaissait assez la vie pour comprendre ce que cela signifiait.
    — J’ai le béguin !… constata-t-il comme on se dit parfois, au premier frisson dans le dos. Tiens ! Ça ne m’étonnerait pas que j’aie attrapé une bonne grippe !

XI
    Pour se rendre de la fosse d’orchestre à sa loge, le maestro Stanislas Lefort suivait toujours le même chemin. Avant d’emprunter le couloir des Etoiles, il passait généralement devant le foyer de la danse, salle lourdement parée d’allégories, d’enluminures pompeuses, de pesantes cariatides style Second Empire. Habituellement, il s’attardait avec les danseuses. Tant de curiosités s’allument autour d’un tutu de ballerine ! Tout en bavardant, il laissait traîner des regards de convoitise voilée sur leurs jambes et leurs pieds chaussés de satin rose, leurs épaules dénudées, leurs gorges affichées, le mystère de leurs aisselles ombreuses. Il expliquait souvent, sur le mode badin, à ces charmantes enfants qu’ils appartenaient tous à la grande famille du rythme et que cela permettait bien quelques privautés. Il joignait le geste à la parole avec une fausse désinvolture, effleurant le galbe d’un bras ou d’un de ces petits seins qui font des pointes.
    Ce jour-là, comme les autres, les ballerines l’attendaient sans en avoir l’air. Flattées, elles prenaient un plaisir pervers à s’exhiber devant le musicien quinquagénaire et c’était à qui parviendrait à provoquer son émoi par un accueil troublant d’ingénue libertine.
    Mais le front soucieux, Lefort passa devant le foyer de la danse sans un regard aux coryphées tous surpris et un peu déçus. Le chef d’orchestre était furieux contre ce gros Allemand et trouvait maintenant des séries de répliques cinglantes qu’il aurait dû lancer au visage de l’occupant.
    — Votre compatriote Beethoven ne serait pas fier de vous, monsieur.
    — Á vous voir, on peut facilement deviner que vous n’aimez pas Brahms !
    — Je suis l’ami de Richard Strauss à qui je vais donner de vos nouvelles.
    — L’Allemagne a donc tant changé depuis Wagner !
    Il marmonnait ces phrases venimeuses en se rendant à sa loge, accablant de reproches sa pusillanimité. Ce n’était pas exactement une loge mais une sorte de salon 1900 où s’entassaient des objets d’arts, sculptures, peintures, bibelots, manuscrits dédicacés de grands auteurs. Cela avait un petit côté Sarah Bernhardt, une grandeur à la d’Annunzio, avec son canapé à peau de tigre, et ses armoires en laque de Coromandel.
    Debussy, Ravel se trouvaient en bonne place, attestant le goût de Lefort pour les impressionnistes.
    Une gravure représentant Mozart enfant prodige au clavecin, chez le roi de France, prouvait son éclectisme.
    Dans une débauche de bibelots, on remarquait une précieuse collection d’instruments de musique anciens : viole d’amour, épinette, typophéone, vielle, petit bugle en si bémol, mandore, lyre et théorbe.
    Une harpe réputée avoir appartenu à Marie-Antoinette côtoyait le piano à queue de chez Pleyel, copie d’un des premiers pianofortes de Chopin.
    Wagner recevait dès l’entrée les visiteurs de son regard hautain d’aigle un peu méprisant.
    Stanislas entra et se trouva face à face avec son propre visage reflété dans l’immense glace oblongue qui trônait au-dessus de la table de toilette. Il supporta mal la rencontre de son visage dans le miroir : – J’ai capitulé ! Moi ! Stanislas Lefort ! Quelle honte !
    Il adressa des grimaces de dégoût à tous ses portraits (il y en avait douze) pendus aux murs et où il était représenté, baguette en main, cheveux au vent, dans des attitudes dictatoriales du Neptune de la Musique.
    D’un geste de colère, il empoigna ses mèches argentées et célèbres, et tira dessus, violemment. Il apparut complètement chauve. S’étant dépouillé de sa perruque, il la plaça avec précaution sur une fausse tête, une « coiffe à perruque », afin

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