La grande vadrouille
une chaise en pleurnichant. Elle dissimulait un rire amusé tout en faisant entendre de lamentables sanglots :
— Au moins, Monsieur me comprend, lui ! Monsieur est correct et humain !
Le feldwebel flatté se rengorgeait.
Les soldats revenaient vers lui au rapport.
— Nix !
— Rien !
— Rien !
Soudain, dans le living-room, on entendit un coup insolite. Les militaires se précipitèrent l’arme au poing. Le bruit, une sorte de craquement, venait du placard qui fut vivement cerné.
Déjà, Augustin et Juliette étaient braqués aussi et traités aussitôt en suspects.
Le feldwebel adressa un ordre au placard :
— Vous ! l’Anglais, je vais tirer !
Un grincement plus marqué lui répondit.
La porte du placard s’ouvrit brusquement et une planche à repasser tomba sur le sous-officier en faisant un « bang » de cloche fêlée.
Augustin, qui réprimait une forte envie de rire, dit le plus sérieusement du monde :
— Ces immeubles modernes, Monsieur le Soldat allemand, c’est affreux ! Chaque fois que la voisine du dessus éternue, on reçoit les abat-jour du lustre sur la tête.
Le feldwebel, accablé par cet incessant bavardage, commanda à ses hommes :
— Fertig ! Los ! Fini ! Partons !
Après s’être incliné devant cette jolie petite blonde visiblement aryenne. Il jeta un regard noir à son brutal mari. Il doutait sérieusement de la pureté raciale de ce grossier personnage.
Dès que le dernier soldat fut sorti, Juliette ferma la porte au verrou.
La première pensée d’Augustin fut pour l’Anglais.
— Allons-y !
Mais Juliette, l’oreille collée à la porte palière, murmura, encore fort inquiète :
— Continuons ! Ils sont encore là derrière le battant !…
Alors Augustin reprenant le jeu, d’un ton suppliant :
— Pardonne-moi, mon petit poussin !
— Jamais ! Brute ! Voyou ! Salopard !
— Je vois ! hurla Augustin, c’est une correction que tu cherches ! Tu vas l’avoir !
Elle tapa elle-même dans ses mains, en jetant un cri de douleur.
Augustin s’excusa à voix très basse comme s’il l’avait vraiment battue :
— Pardon ! Moi, j’aurais jamais osé frapper si fort !
Les soldats allemands gravissaient les marches qui menaient à l’étage supérieur.
Le feldwebel, perplexe, repris par des souvenirs sans doute pénibles, interpella le plus jeune de ses soldats :
— Hans !
Le jeunot au visage frais et blond se retourna :
— Iawhol ?
— Ne vous mariez jamais ! lui conseilla le supérieur.
Dans le petit logement de Juliette, ils écoutèrent décroître les pas des Allemands. Alors, la jeune femme et le peintre foncèrent vers la cuisine. Augustin referma prestement le battant de l’armoire à provisions, découvrant ainsi la lucarne.
Ils l’ouvrirent et se penchèrent vers les profondeurs de la courette qui servait de cage à l’ascenseur.
Ils virent l’aviateur blessé, perché sur le toit de la cabine. C’est là qu’on l’avait caché, mais quelqu’un appela l’ascenseur qui replongea vers le rez-de-chaussée.
L’Anglais tendait des bras impuissants vers ses protecteurs, tout en descendant vertigineusement.
En effet, dans le vestibule de la maison, une vieille dame très digne, la veuve du 6 e , revenant de faire son anémique marché, attendait l’arrivée de la cabine. Elle entra referma la porte et appuya sur le bouton du 6 e étage. Et le lift s’éleva de nouveau. Dans ces voyages, qu’allait-il lui arriver ? Sur le toit de l’appareil, Peter s’interrogeait anxieusement.
Il regardait le haut de la courette : un plafond cimenté d’une effrayante dureté de pierre.
La tête de Peter et le ciment du plafond allaient inéluctablement se rencontrer. Juliette souffla à Augustin d’une voix angoissée :
— Si l’ascenseur va au sixième, l’Anglais va s’écraser contre le plafond !
Le peintre n’hésita pas une seconde. Sans penser qu’il était en caleçon, il se précipita hors de l’appartement, jusqu’au palier. Passant alors vivement la main entre les grilles de la cage de l’ascenseur, il atteignit l’ergot d’acier à roulette caoutchoutée qui, si on le tire, coupe le courant. Il le tira, la cabine s’arrêta net.
On entendait toujours des exclamations gutturales allemandes aux différents étages.
Dans la cabine, la vieille veuve ne fut guère surprise de voir l’ascenseur s’arrêter. Depuis que les Allemands occupaient Paris,
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