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La grande vadrouille

La grande vadrouille

Titel: La grande vadrouille
Autoren: Georges TABET , André TABET
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Juliette :
    — Bonsoir… Je voulais justement vous avouer quelque chose…
    Il gardait dans sa grosse patte d’ouvrier manuel la petite main grasse et chaude de la jeune fille amusée qui le regardait malicieusement chercher ses mots.
    Mais si légers que se fissent les pas des nouveaux arrivés, elle les entendit, se dégagea et, avec un bonsoir du bout des lèvres, s’enfuit vers sa chambre qui faisait face à celle du peintre.
    Déçu, il refermait aussi sa porte quand Achbach et Stürmer apparurent précédés de M me  Germaine.
    — Je suis pleine, s’excusa-t-elle pour dire que l’hôtel était complet.
    Achbach ne comprit pas très bien.
    Il examina discrètement le tour de taille de la gérante et le trouva normal. Il mit cette phrase ambiguë sur le compte des bizarreries de la langue française.
    — Je suis désolée, messieurs, de vous recevoir dans cette obscurité qui ne m’est pas imputable.
    Elle cédait volontiers à la phraséologie prétentieuse, manie inoffensive qu’elle avait contractée en faisant l’article pour l’hôtellerie et la restauration. Dans le pays elle était connue pour avoir inventé la formule célèbre :
    —  Avec le suprême joie gras, j’aimerais vous voir boire…
    Hélas ! ces temps de cuisine réfléchie et de vins glorieux appartenaient au passé. Elle en était aujourd’hui réduite à désigner leur dortoir à deux officiers allemands.
    Elle ouvrit la chambre n° 9 en annonçant :
    — Je vous couche comme je peux, non comme je veux. Un lit pour deux… Mais il est excellent. Je suis à cheval sur la literie…
    — Á cheval sur la litière ? dit Achbach stupéfait en entrant dans cette chambre qu’il trouva douillette alors que le mot lui avait fait craindre une écurie.
    Après avoir souhaité une bonne nuit aux deux officiers, M me  Germaine s’en fut rejoindre ses appartements qui se trouvaient au troisième, loin des sommeils payants à des prix trop bas homologués par la chambre syndicale de l’hôtellerie française.
    Au n° 6 identiquement meublé et disposé que le n° 9, son voisin, Augustin se préparait à se glisser dans les toiles. Stanislas, devant le lit ouvert, ne pouvait se résoudre à s’y coucher.
    — Dormir avec vous ! disait-il sans ménagements à Augustin. C’est affreux ! Je ne savais pas que le conflit actuel me réserverait une telle épreuve ! La Pologne aurait bien dû abandonner Dantzig au III e Reich plutôt que de m’infliger une telle condamnation !
    Augustin, moins délicat que le chef d’orchestre, expliqua, hilare :
    — Vous allez coucher avec moi, mais, moi aussi, je vais pieuter avec vous : ce sont les horreurs de la guerre !…
    Il sauta dans le lit.
    — Je dors sur le côté droit, décréta-t-il. Alors, je prends la vue sur la table de nuit.
    — Je m’en fous ! soupira le maestro. Tout m’est égal. Je suis un homme désespéré.
    — Á propos, se souvint Augustin, faut que je vous prévienne. Quand je suis fatigué, je ronfle !
    — Il ne manquait plus que ça !
    — Mais c’est pas grave. Vous n’avez qu’à siffler et je m’arrête.
    Le chef d’orchestre rougit, pâlit et s’exclama :
    — J’ai ma boule !
    Il consulta sa montre :
    — Qu’est-ce que je disais ? C’est l’heure du deuxième entracte : je rentre dans ma loge qui donne sur la rue Scribe.
    Ayant prononcé ce nom, il eut l’air d’avoir lâché une indécence. Augustin le regardait intrigué.
    Stanislas s’expliqua :
    — Scribe ! l’auteur de la Juive ! Verboten !… N’empêche que j’ai ma boule et que si je ne mange pas, j’aurai ma barre !…
    Il allait ouvrir la porte et sortir dans le couloir à la recherche de la cuisine.
    — Vous êtes fou ! s’effraya Augustin. L’hôtel est plein d’Allemands ! Vous mangerez après la représentation !
    Il lui barrait le chemin.
    Le maestro l’écarta d’un geste agacé.
    — Je vous répète que ce n’est pas une plaisanterie : j’ai ma boule !
    Á cette époque, toute la France avait faim à toute heure du jour et de la nuit.
    Tentateur, avant de sortir, Stanislas proposa :
    — Si je trouve de quoi souper, je vous ramène une assiette anglaise…
    Il se reprit vite :
    — Non pas anglaise… verboten aussi… Ein gemischte platte. C’est pareil.
    En riant, il sortit revêtu de son pyjama trop grand pour sa petite taille.
     
    *
    * *
     
    Dans la chambre n° 9, le major Achbach songeait à se mettre au
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