La guerre de l'opium
Une jolie femme de votre espèce n’a-t-elle pas mieux à faire ?
Barbara, tétanisée et incapable du moindre geste, regardait avec effroi la chevalière qui ornait l’auriculaire droit de Charles Elliott s’approcher de son entrejambe. De la bouche entrouverte du consul s’échappait à présent une sorte de monstrueux grognement. Il lui fallait absolument réagir sous peine de laisser croire à l’agresseur qu’elle était consentante. Barbara se fit violence, rassembla ses forces et commença à viser la rouflaquette gauche de Charles Everett Elliott. Mais au moment où elle s’apprêtait à le gifler à toute volée, l’épouse du diplomate fit irruption dans le bureau, et Elliott se releva illico en titubant avant d’épousseter sa veste d’un geste mécanique.
— Mon cher, c’est l’heure de vos remèdes… lança d’une voix de stentor Rosy Elliott, chargée d’un plateau sur lequel étaient posés une fiole et un pilulier.
La femme du consul, qui connaissait les travers de son mari, fit une sorte de clin d’œil grimaçant à Barbara tandis que ce dernier, tel un enfant pris en faute, se jetait sur l’un des dossiers qui jonchaient le sol avant de l’ouvrir fébrilement et de plonger le nez dedans.
— L’apéritif de monsieur est servi sous la véranda… annonça opportunément le maître d’hôtel chinois que la femme du consul avait, d’un regard qui lançait des éclairs, sommé d’entrer.
Ce n’était manifestement pas la première intervention de ce type de Rosy, qui connaissait bien les pulsions de son mari et s’arrangeait pour intervenir avant que les choses n’aillent trop loin et ne se gâtent…
Pendant que Barbara subissait les assauts du consul, Laura et La Pierre de Lune étaient redescendus sur la pelouse du parc où ils avaient engagé la conversation avec deux jardiniers qui leur expliquaient le maniement des ciseaux à égaliser les herbes de la pelouse.
— Votre fille parlerait-elle déjà le cantonais ? C’est une langue aux tonalités infâmes ! s’écria Rosy Elliott qui avait aperçu les deux jeunes gens.
— D’ordinaire, il faut deux bonnes années à un étranger doué pour les langues pour en baragouiner trois mots… ajouta son mari, l’air encore dépité d’avoir été surpris par sa femme.
— Détrompez-vous, c’est ce jeune Chinois qui parle l’anglais à merveille, grâce au pasteur Roberts qui a accepté de lui donner des cours, s’écria Barbara, en jetant un regard de défi à Elliott.
Elle n’était pas mécontente de dire du bien du religieux américain devant le consul d’Angleterre en qui elle ne voyait désormais qu’un vieux tigre de papier aux griffes et aux canines élimées.
— Pourriez-vous aller me chercher ce garçon ? lança Rosy au maître d’hôtel avant d’ajouter, à l’adresse de Barbara : Je cherche un guide interprète susceptible de m’accompagner chez les antiquaires…
Les deux femmes passèrent dans la véranda, laissant le consul de Grande-Bretagne, vexé et honteux, s’éclipser sous un vague prétexte.
Lorsque La Pierre de Lune, plutôt intimidé et vaguement inquiet, se retrouva devant Mme Elliott, elle avait retrouvé son sourire carnassier et enjôleur.
— Je crois savoir que vous parlez très bien l’anglais…
— Je me débrouille…
— Accepteriez-vous de m’accompagner chez un antiquaire ? Bien entendu, si vous acceptiez, vous seriez payé au tarif normal des interprètes du consulat de Grande-Bretagne… Un liang d’argent pour la journée.
Pour La Pierre de Lune, la somme paraissait colossale. Il vérifia des yeux auprès de Laura qu’elle ne s’opposait pas à la proposition de l’épouse du consul, et répondit dans un anglais impeccable :
— Je suis à votre entière disposition, madame Elliott !
— Où vous trouve-t-on, La Pierre de Lune ? lui demanda alors celle-ci.
— Chez le révérend Issachar Jacox Roberts. J’y passe régulièrement, madame… Si je ne suis pas là, il suffit de me laisser un message et je viendrai aussitôt.
— Mercredi prochain, soyez ici vers dix heures. On m’a dit le plus grand bien du marchand d’antiquités en question… Son père a amassé un stock considérable d’objets datant des dynasties Song et Ming.
— Je serai là, madame. Vous pouvez compter sur moi.
Barbara, toujours ulcérée par l’attitude du consul, décida d’abréger la séance en inventant un
Weitere Kostenlose Bücher